Olivier Père

La Comtesse perverse et Plaisir à 3 de Jess Franco

Artus fait décidément de l’excellent travail dans le domaine du cinéma bis en éditant en DVD quatre films de Jess Franco : Venus in Furs (1969, l’un des titres les plus prestigieux du réalisateur espagnol, qu’on analysera une prochaine fois), Plaisir à 3 (l’une de ses innombrables libres adaptations de Sade), La Comtesse perverse et Célestine bonne à tout faire (sympathique comédie paillarde qui doit un peu à Mirbeau et beaucoup à son interprète principale la pétulante Lina Romay qui fut pendant 50 ans l’égérie et l’épouse de Jess Franco jusqu’à son décès le 15 février 2012.) Ces trois derniers titres furent réalisés la même année, en 1974, durant laquelle Franco a officiellement tourné neuf films (contre 10 en 1973 et sept en 1975 !) avec bien sûr de nombreux acteurs et techniciens en commun. Nous avons revu La Comtesse perverse, variation extravagante, érotique et féminine autour du chef-d’œuvre de Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel La Chasse du comte Zaroff (The Most Dangerous Game, 1932) titre séminal du cinéma fantastique qui a inspiré de nombreux films et cinéastes. La Comtesse perverse est ici visible dans son montage original, pas celui qui fut exploité en France par son producteur Robert De Nesle caviardé d’inserts pseudo sexy et de scènes ajoutées à la hâte par Franco pour profiter de la mode des films pornographiques, sous le titre idiot des Croqueuses. Dans les suppléments le film fait l’objet d’une présentation enflammée de Jean-François Rauger, directeur de la programmation de la Cinémathèque française qui a beaucoup contribué à la redécouverte et à la réévaluation critique de l’œuvre de Jess Franco. Il est vrai que La Comtesse perverse demeure l’un des meilleurs titres de la période Robert De Nesle, dans la première moitié des années 70, riche en films formidables malgré la douteuse pratique du caviardage érotique qui causa un réel préjudice à la réputation de Franco. Dans La Comtesse perverse Franco réussit une approche baroque et solaire de thèmes fantastiques (la chasse à l’homme – ici à la femme – et le cannibalisme) transposés sur une île espagnole aux paysages sauvages. Franco bénéficia pour le tournage d’une villa à l’architecture extraordinaire signée Ricardo Bofill qu’il sut très bien exploiter en multipliant les cadres au grand-angle. Les acteurs y sont remarquables, avec une mention particulière pour Lina Romay (voir photo en tête d’article) et le fidèle Howard Vernon. La scène finale confirme que Franco sous ses allures iconoclastes n’a jamais eu peur de s’inscrire dans une tradition romantique, mais aussi surréaliste avec l’apologie de l’amour fou.

La Comtesse perverse

La Comtesse perverse

Les chemins ne manquent pas pour pénétrer dans l’univers foisonnant de Jess Franco : le jazz (plusieurs de ses films de années 70 sont signés du pseudonyme Clifford Brown, en hommage au génial trompettiste), la culture populaire, l’acteur Howard Vernon (qui joue dans des dizaines de ses films, parmi lesquels La Comtesse perverse et Célestine bonne à tout faire), la modernité cinématographique… ou le Marquis de Sade. Franco a très souvent témoigné dans ses films de sa connaissance et de son admiration pour la pensée et l’œuvre de Sade. Pourquoi ne pas s’amuser à comparer les deux hommes ? Ils laissent une œuvre extrêmement prolifique et hétéroclite, inégale mais cohérente. Si Sade a passé plus de trente ans de sa vie à écrire en prison, Franco a passé de longues années à travailler dans l’enfer des productions Eurociné (parmi les plus fauchées du monde.) En plus de leur goût commun pour le sexe et la violence, Sade et Franco aiment les récits emboîtés et savent marier au bric-à-brac décoratif (châteaux, laboratoires, salles de torture, costumes et accessoires divers) l’austérité la plus radicale. La langue de Sade peut paraître plus classique que les mises en scène de Franco, mais n’oublions pas qu’il plaisait à l’écrivain de varier les genres et les style (quel rapport entre Les Cent Vingt Journées de Sodome et Eugénie de Franval ?) et qu’il a écrit Les Crime de l’amour en partie dans l’intention de pasticher les petits maîtres libertins de l’époque, tout comme Franco s’est amusé à parodier Robbe-Grillet, Lelouch, Godard ou Welles dont il fut l’assistant sur Falstaff. Les Infortunes de la vertu (1968) est la première adaptation cinématographique de Sade par Franco. Il y en aura beaucoup d’autres. Par exemple Franco a signé pas moins de cinq transpositions modernes de La Philosophie dans le boudoir : Les Inassouvies (1969), Plaisir à 3 (1974), Cocktail spécial (1978), Sinfonia erotica (1979) et Gemidos de placer (1982).

Dans Plaisir à 3 Franco se fait avant tout plaisir en filmant de nombreuses scène de voyeurisme, saphisme et effeuillage. Cet érotisme fétichiste (une cave de manoir abrite un musée de cire avec des mannequins humains) s’apparente davantage au décadentisme « fin de siècle » qu’à Sade. La dimension politique et pédagogique présente dans La Philosophie dans le boudoir est occultée. Mais Plaisir à 3 est un film piège et la fidélité à Sade survient lorsqu’on ne l’attend plus. Au lieu de l’initiation au vice, Franco illustre le thème de la trahison entre libertins, souvent traité par Sade. Le personnage interprété par Alice Arno est victime de la cupidité de son mari (Fred Williams) qu’elle croyait son complice. Plaisir à 3confirme que Franco n’utilise jamais Sade comme alibi culturel pour s’encanailler mais plutôt comme une source intarissable d’histoires perverses. Les suppléments du DVD proposent un entretien avec Alain Petit qui fut le scénariste de ce film de Franco et de quelques autres de la même période.

Plaisir à 3

Plaisir à 3

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