Olivier Père

Emilie, l’enfant des ténèbres de Massimo Dallamano et L’Antéchrist de Alberto De Martino

Affiche italienne d'Emilie, l'enfant des ténèbres

Affiche italienne d’Emilie, l’enfant des ténèbres

Les deux films qui nous intéressent et qui tinrent longtemps l’affiche dans les salles de quartier avant de continuer leur longue carrière en VHS et en DVD appartiennent à la seconde génération du cinéma fantastique italien pris d’une crise de délire suiviste après son bref âge d’or gothique en noir et blanc. Au milieu des années 70 le Cinecittà bis se précipite sur le nouveau phénomène du box-office américain, L’Exorciste, qui remet au goût du jour les vieilles histoires de sorcellerie et de possessions démoniaques grâce à un traitement hyperréaliste et une crudité inédite des effets spéciaux. Pris de cours par le succès du film de William Friedkin certains producteurs peu scrupuleux n’hésiteront pas à modifier leur scénario en cours de tournage ou une fois le film terminé. Ainsi Mario Bava sera contraint par Alfred Leone d’ajouter des séquences d’exorcisme à son génial Lisa e il diavolo (nous en avons déjà parlé.) Le souvenir de ces deux bandes diaboliques nous offre l’occasion de vérifier que nul film bis italien ne peut se résumer à ses intentions mercantiles ou à son argument racoleur, que copier n’est pas coller et que recopier c’est déjà inventer. Le cinéma américain se soucie de visibilité, de réalisme et d’efficacité, le cinéma italien des années 70 au contraire se nourrissait d’opacité, de perversité et de roublardise, d’un mélange de trivialité et de culture savante, de schématisme et d’intellectualisme. La preuve par deux.

Il medaglione insanguinato (1975)

le tableau dans Emilie, l’enfant des ténèbres (1975)

Antépénultième film de Massimo Dallamano, mort prématurément, Émilie l’enfant des ténèbres (Il medaglione insanguinato, 1975) est une incursion réussie dans le fantastique de la part de cet ancien directeur de la photographie passé à la mise en scène, auteur d’une dizaine de films opportunistes (érotique, giallo, policier, comédie) souvent non dénués de qualités. Dallamano confronte le roman-photo et la peinture de la Renaissance, et joue sur les correspondances entre l’Histoire de l’art, le film d’horreur, la religion et la psychanalyse.

Tout entier construit autour des thèmes de la déchéance et des flammes, le film prend soudain une valeur symbolique et devient un titre emblématique du cinéma bis italien et de sa tentation du plagiat, jouant sur les correspondances entre la pauvreté de ses moyens et le poids de la culture picturale qui le précède dans le domaine de la représentation du Mal et de la Chute.

Le film se pense lui-même comme la dernière trace d’une longue lignée de chefs-d’œuvre dans l’histoire de l’art diabolique, appauvrie et dégradée à l’extrême (on passe de la peinture sacrée au cinéma de série B sans prétention esthétique). Le scénario trouve les clefs de son récit œdipien dans les motifs et les détails contenus sur la toile mystérieuse étudiée par le personnage principal, documentariste enquêteur détruit par ses recherches sur le Mal et sa quête de la vérité. Au-delà de la roublardise de la production italienne commerciale Émilie l’enfant des ténèbres ne se contente pas de copier les recettes d’une mode éphémère pour le Grand-Guignol mais propose une réflexion sur les images cinématographiques et leur devenir fantôme doublée d’une évocation trouble des relations père fille. Le père est interprété par Richard Johnson, bon acteur anglais qui fréquenta le cinéma fantastique italien. Nicoletta Elmi dans le rôle d’Emilie confirme son statut d’enfant star du cinéma d’horreur italien. La jeune fille rousse abandonnera le cinéma à l’âge adulte mais son étrange photogénie lui fit fréquenter plusieurs titres marquants comme La Baie sanglante, Baron vampire, Chair pour Frankenstein, Chi l’ha vista morire ? ou Les Frissons de l’angoisse jusqu’à sa dernière apparition cinématographique dans Démons. Elle fit aussi de la figuration dans Mort à Venise. Pas mal. Elle parla intelligemment et en des termes élogieux d’Emilie, l’enfant des ténèbres et de son metteur en scène :

«  Les Frissons de l’angoisse est sans conteste la meilleur chose que j’ai jamais faite et je suis très fière de mon travail dans le classique d’Argento. L’autre film dont je garde un souvenir ému est Emilie, l’enfant des ténèbres dans lequel je jouais le rôle principal pour la première fois de ma carrière. Le réalisateur Massimo Dallamano était très talentueux, il avait une vision d’artiste et il m’a beaucoup aidé à exprimer toute la puissance et la passion qui étaient contenues dans mon personnage. Si j’ai été un jour une bonne actrice, je le dois à ces deux merveilleux réalisateurs. »

L'Antéchrist (1974)

L’Antéchrist (1974)

L’Antéchrist (L’anticristo, 1974) est une imitation italienne de L’Exorciste par un spécialiste de la copie non conforme, Alberto De Martino (son Holocauste 2000 louchait sur La Malédiction, son Conseiller sur Le Parrain.) Il s’agit dans le genre d’une incontestable réussite bénéficiant d’une brillante distribution et d’une direction artistique soignée.

L’Antéchrist se démarque totalement de son modèle en choisissant le registre du mélodrame familial et incestueux. La magnifique première partie du film, baroque et décadente en diable, filme des aristocrates romains comme des statues emmurées dans un palais en forme de sépulture. Le film montre la puissance occulte de l’Église et la persistance des rites superstitieux et nous entraîne dans un monde archaïque et sombre. Le recours volontiers exhibitionniste à des décors de studios, des transparences et des effets spéciaux primitifs ouvre une perspective picturale des plus remarquables et un mépris de la réalité sociale. À mi-chemin de Violence et Passion de Visconti et du roman-photo fantastique (encore !), L’Antéchrist constitue avec Holocauste 2000 un excellent diptyque et la plus notable contribution de De Martino au cinéma de genre européen.

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