Olivier Père

Che de Steven Soderbergh

Che

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Incompris par la majeure partie de la critique et du public lors de sa présentation à Cannes en 2008 et au moment de sa sortie l’année suivante, le Che (1ière partie : L’Argentin et 2ème partie : Guerilla) de Steven Soderbergh est pourtant une des grandes réussites du cinéma américain contemporain. C’est aussi un exemple atypique d’entreprise radicale et intelligente au sein d’un système de production commercial. On a l’impression que le cinéaste prend volontairement le contre-pied de toutes les conventions des récentes (et décevantes car tristement conventionnelles ou académiques) biographies filmées d’Hollywood, qui souhaitent à tout prix expliquer le mystère de l’homme ou de la femme caché derrière l’icône. Dans Che, au contraire, Soderbergh se refuse à toute entreprise psychologique, se contente d’une subtile étude comportementaliste, et d’un traité extrêmement descriptif de tactique militaire sur la guérilla cubaine. Ceux qui s’attendaient à une fresque épique furent déçus, car Che adopte le ton sérieux et didactique des vrais grands films historiques. On est plus proche de La Prise de pouvoir par Louis XIV de Roberto Rossellini que des biopics boursouflés d’Oliver Stone. La structure en diptyque est très belle. Les deux films proposent en effet la répétition en miroir de deux aventures révolutionnaires, l’une portée par la réussite et l’exaltation (la marche vers la Havane et la chute de la dictature de Batista), l’autre vers l’échec (le projet secret de grande révolution latino-américaine qui va s’enliser dans la jungle bolivienne, jusqu’à la mort du Che). La durée du film (deux fois deux heures) est également au service du projet, qui accorde plus d’importance à l’attente, à la fatigue, à la discussion, qu’à l’action et aux combats, qui sont filmés avec une sobriété qui manque cruellement aux films de guerre actuels. Les moments de bravoure du film sont ses temps morts, et la seconde partie, d’une grande tristesse, fascine par le dépouillement de sa dramaturgie. Steven Soderbergh est un cinéaste caméléon capable de commandes indigentes ou de ratages mais aussi, quand il en a la liberté et l’envie, de films qui repoussent les limites de l’expérimentation dans le cinéma américain, comme les passionnants Bubble et The Girlfriend Experience, mais aussi le récent Magic Mike. Che est sans doute la meilleure surprise de sa filmographie, à mi-chemin entre le classicisme et la distanciation postmoderne, les conventions des superproductions à l’ancienne (surtout dans le choix des acteurs) et un hyperréalisme presque documentaire où Soderbergh applique des méthodes de tournage ultra-rapides avec sa caméra numérique. On n’oubliera pas de préciser que Benicio Del Toro, impliqué dans la production du projet, est excellent dans le rôle-titre, parfait de charisme naturel et d’opacité laconique. Il faut noter qu’Olivier Assayas, grand admirateur du film, s’en souviendra lorsqu’il mettra en scène son magnifique Carlos en 2010.

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