Olivier Père

Magic Mike de Steven Soderbergh

Après son succès dans les salles américaines et un passage remarqué sur la Piazza Grande lors de la 65ème édition du Festival del film Locarno, Magic Mike sort dans les salles françaises le 15 août, distribué par ARP sélection.

Dans la filmographie de l’éclectique et de l’hyperactif Steven Soderbergh, qui clame depuis plusieurs années son désir de partir à la retraite mais continue de produire et réaliser trois films par an en moyenne, on a guère de mal à distinguer les projets expérimentaux des commandes hollywoodiennes, des films inattendus (une biographie du « Che » en deux épisodes, magnifique) ou au contraire prévisibles selon les lois du star system (Ocean’s 11 et ses suites, très décontractées) en passant par des films de prestige taillés pour les Oscars (Traffic). Une telle versatilité a pu paraître suspecte ou alors seulement liée à des opportunités artistiques ou des contingences commerciales. Les choses sont devenues beaucoup plus intéressantes à partir de Bubble (2005), film à micro budget tourné avec des comédiens non professionnels, chef-d’œuvre de son auteur. Aujourd’hui Soderbergh surprend de nouveau avec ce qui constitue le troisième chapitre d’une trilogie informelle, celle des « fausses stars » après Girlfriend Experience (The Girlfriend Experience, 2009) et Piégée (Haywire, 2011) : Magic Mike. Dans les deux premiers cas, il s’agit d’utiliser des pseudo actrices venues d’un univers différent (la pornographie pour Sasha Grey, le sport de combat pour Gina Carrano) et de les distribuer dans un rôle qui renvoie indirectement à leur discipline (le sexe et la prostitution pour l’une, l’espionnage et la bagarre pour l’autre). Magic Mike procède de la même manière sauf qu’il s’agit d’un homme et d’un « vrai » acteur Channing Tatum qui revient sur les origines de sa carrière, le métier de stripteaseur dans un club réservé à une clientèle féminine.

Après l’hyper femme Sasha Grey (performeuse, pornstar et féministe), la femme homme (Gina Carano, sexy mais plus dangereuse qu’un soldat d’élite), voici l’homme femme (Channing Tatum, viril et hétéro, mais exerçant une activité associée à la gent féminine, le striptease). Ces trois films parlent de la société du spectacle, de ses formes dégradées, sportives ou artistiques, du culte des apparences et du masque des illusions. Nous nageons dans une société du mensonge et du paraître, où des hommes et des femmes se rêvent acteurs, actrices, stars alors qu’ils ne sont que des avatars, des copies ou des simulacres : stripteaseur au lieu de danseur, pute au lieu d’actrice, pornstar au lieu d’artiste…

Magic Mike dresse ainsi un tableau hyperréaliste de Miami, de la vie sous le soleil de Floride et du monde du spectacle vu par le petit bout de la lorgnette, comme une parodie de la Californie : des vedettes du striptease au lieu des stars d’Hollywood, des patrons de boîtes de nuit au lieu des producteurs et réalisateurs de cinéma. Mais les rêves de gloire et de pouvoir, les signes extérieurs de richesses (grosses voitures et belles villas), les avantages en nature (banalisation du sexe et de la séduction, tous deux liés à la célébrité et à l’argent) sont les mêmes, avec en prime un vide ontologique encore plus évident. Magic Mike est l’histoire de ce monde, factice, cruel et dérisoire, et ce beau film qui propose un effet de miroir troublant puisque l’acteur qui incarne Mike, belle gueule, corps glabre et muscles bronzés n’est autre que Channing Tatum qui débuta comme stripteaseur avant d’entamer une carrière d’acteur hollywoodien, entre blockbuster à forte teneur en testostérone et bluette pour adolescentes. Il est troublant de voir un acteur aussi jeune raconter sa propre histoire, surtout qu’elle ne se caractérise pas par sa flamboyance, mais plutôt par sa banalité. C’est sans doute une « success story » mais c’est aussi l’envers du décor et de l’usine à rêve, dans toute sa trivialité, une tranche de vie qui frappe part son absence de clichés et sa lucidité. Soderbergh n’est pas loin du cinéma d’Altman et sa posture de moraliste nonchalant, observateur d’un monde qu’il n’aime pas beaucoup et qu’il trouve un peu nul, mais qui s’attache à ses protagonistes, gagnants et perdants, plus ou moins sympathiques ou médiocres, comme dans Le Privé et California Split, équivalent des années 70 de Magic Mike. C’est toujours les mêmes rêves et les mêmes histoires sous le soleil et les paillettes.

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