Olivier Père

Locarno 2012 Day 4 : Ornella Muti

Omaggio a Ornella Muti

Omaggio a Ornella Muti

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De toutes les actrices italiennes de sa génération, Ornella Muti est celle qui aura sans doute apporté quelque chose de nouveau, une révolution douce, au statut de star. Ornella Muti appartient à un âge « non mythique » du cinéma italien. Contrairement aux « dive » du muet, aux vedettes sophistiquées des films à téléphones blancs du fascisme, contrairement à Anna Magnani et le néo-réalisme, Sophia Loren et les comédies de l’après-guerre, Monica Vitti et sa rencontre avec Antonioni, Claudia Cardinale et les grands auteurs des années 60, Ornella Muti ne bénéficiera pas, ou moins, du formidable élan créatif du cinéma italien. En effet, elle tourne son premier film en 1970, date qui symbolise le début du déclin de la production transalpine, après deux décennies de suprématie artistique. Cependant, comme Bardot en son temps, Ornella Muti, armée d’un érotisme juvénile, une grâce insolence et placide, une indolence qui pourrait passer pour de la paresse, va vite se distinguer des nombreuses starlettes et très jeunes actrices dénudées, et vite oubliées, dans des films de consommation courante. Certes sa beauté époustouflante n’est pas pour rien dans cette reconnaissance rapide du public international. Mais les choix de l’actrice ne furent pas sans importance. L’intérêt que lui portèrent quelques grands cinéastes et surtout un, Marco Ferreri, ne fut pas fortuit non plus. Et il est urgent de reconnaître le talent d’Ornella Muti à s’extraire des clichés de la femme fatale ou de la belle Italienne, pour réussir à trouver à chaque étape de sa vie et de sa carrière des rôles inattendus ou proche de ses aspirations. Ornella Muti débute à l’écran à l’âge de quinze ans dans le rôle principal de Seule contre la mafia (La moglie più bella, titre original bien trouvé), drame sicilien à l’occasion duquel le cinéaste Damiano Damiani baptise la jeune romaine Francesca Romana Rivelli de son nom d’artiste. Ces débuts fracassants devront attendre quelques années la confirmation d’une vraie carrière. Prisonnière de son âge et de sa beauté renversante, Ornella Muti enchaîne les séries B plus ou moins érotiques et médiocres en Italie et en Espagne, joue dans une comédie géniale de Mario Monicelli génial avec Ugo Tognazzi (Romances et confidencesRomanzo popolare, 1974) et deux ans plus tard dans un chef-d’œuvre instantané du cinéma moderne, point de départ d’une collaboration avec l’iconoclaste Marco Ferreri : La Dernière Femme. Ornella Muti y incarne Valérie, puéricultrice, jeune maîtresse d’un père célibataire (Gérard Depardieu) qui après une violence dispute préfère se trancher le sexe plutôt que de subir un nouvel abandon. Dans un film désespéré au cœur des questionnements de l’époque sur le machisme et le féminisme, la crise du couple et plus généralement des relations humaines, Ornella Muti donne corps à l’idée chère à Ferreri de la femme triomphante de l’homme, à la fois maternelle, castratrice et putain, victorieuse de siècles de soumission. L’évidence de sa beauté, mais aussi de son jeu et de sa présence physique n’a pu que séduire Ferreri, cinéaste trop longtemps accusé de misogynie qui se pose plutôt en moraliste cynique. De nombreuses actrices lui doivent leurs meilleurs rôles (Annie Girardot, Marina Vlady), mais on a l’impression que la rencontre avec Ornella Muti est aussi décisive pour le cinéaste que pour l’actrice. Ferreri attendait Muti, son innocence perverse, son animalité domestique, son évidence énigmatique. Résistance radicale à la société de consommation, et à la consommation des images, les films de Ferreri enregistrent les modes de leur époque pour mieux les railler. Réfractaire à tous les courants de pensées, hostile aux intellectuels, Ferreri n’a pourtant jamais cessé de faire un cinéma politique. Mais comme les Straub, l’antifascisme de Ferreri passe directement dans les sujets de ses films, pas dans un discours signifiant. Conclusion de leur collaboration, nouveau chef-d’œuvre que Ornella Muti accepte de tourner réellement enceinte (elle n’a jamais été aussi belle), Le futur est femme (Il futuro è donna, 1984) est un autre grand film programmatique du cinéaste. Utopie (moins négative que d’habitude) sur l’amour et la maternité, Le futur est femme propose les bases d’une nouvelle société affranchie des lois sociales et familiales, où les vrais liens ne seraient plus ceux du sang, mais ceux du cœur. Un couple d’intellectuels bohêmes adopte une jeune femme abandonnée qui attend un enfant. La coïncidence sublime entre l’état de l’actrice et de son personnage ajoute à l’émotion de ce film majeur du cinéma italien des années 80.

Entre ces deux films, Ferreri et Ornella Muti tournent ensemble à Los Angeles Conte de la folie ordinaire (Storie di ordinaria follia, 1981), une adaptation de Charles Bukowski dans laquelle Ben Gazzara (voir l’hommage qui lui sera également rendu durant le festival avec un documentaire en première mondiale et Autopsie d’un meurtre d’Otto Preminger) interprète l’écrivain maudit et l’actrice Cass, prostituée masochiste qui finira par se trancher la gorge après plusieurs outrages infligés à sa beauté. Pour la première fois, on a le sentiment qu’Ornella Muti se livre à une composition, créée un personnage très loin d’elle. Le rôle de Cass demeure sans doute son plus beau travail de comédienne, celui où elle délaisse l’énergie vitale, la sensualité sans histoire qui la caractérise pour entrer dans la peau d’un être malade, morbide et inquiétant. Un an plus tôt, Ornella Muti était dans un registre totalement opposé la princesse intergalactique (et nymphomane) de Flash Gordon, extravagance de science-fiction produite par Dino De Laurentiis et réalisée par Mike Hodges dans laquelle l’actrice se pavane dans les robes et les décors les plus invraisemblables, trésors de vulgarité satinée, et déploie une sensualité sans complexe, en se moquant de cette image de fantasme sexuel, avec cette indifférence qui n’appartient qu’à elle et qui exclut le moindre clin d’œil complice au spectateur. Au-delà du bon et du mauvais goût, véritable plaisir coupable et lupanar cinématographique, Flash Gordon est un must fortement recommandé aux érotomanes et cinéphiles déviants.

En Italie, la seconde rencontre marquante après Ferreri est celle avec Dino Risi. Dans les années 70, alors que l’œuvre du maître de la comédie italienne devient de plus en plus mélancolique et nihiliste, Ornella Muti correspond chez Risi au personnage de la jeune femme à la fois paumée, insensible et manipulatrice, symptomatique du peu de sympathie qu’éprouve Risi pour les nouvelles générations. Dans Dernier Amour (Primo amore, 1878), variation autour de L’Ange bleu, Ornella Muti interprète une jeune femme qui séduit un cabot vieillissant (Ugo Tognazzi) avant de l’abandonner à sa décrépitude, et dans La Chambre de l’évêque (La stanza del vescovo, 1977), elle est l’épouse du même Tognazzi, tentée par une aventure avec Patrick Dewaere. Dans Les Nouveaux Monstres (I nuovi mostri, 1977), elle apparaît dans un fameux sketch (« Histoire sans parole ») dans le rôle du cliché hétérosexuel ultime: l’hôtesse de l’air sexy et facile à séduire. Certes les films proposent d’Ornella Muti une vision réductrice et même négative, teintée de misogynie, mais ils ne demeurent pas moins des titres remarquables dans l’œuvre d’un cinéaste dont l’humour grinçant a de plus en plus de mal à masquer le pessimisme et le sentimentalisme amer.

Dans les années 80, devant la crise du cinéma italien, Ornella Muti participe à deux productions prestigieuses, adaptations de grandes œuvres littéraires, qui n’échappent pas à un certain académisme : Chronique d’une mort annoncée (Cronaca di una morte annunciata, 1987) de Francesco Rosi d’après Garcia Marquez et surtout Un amour de Swann (1984) de Volker Schlöndorff où elle campe une convaincante Odette face à Jeremy Irons/Swann et Alain Delon/Charlus, qu’elle avait déjà croisé dans le polar français Mort d’un pourri de Georges Lautner en 1977.

Une autre adaptation littéraire, de John Fante cette fois, lui offre un beau rôle de mère (Bandini de Dominique Deruddere, 1989), alors que le temps ne semble avoir aucune prise sur elle et qu’il lui faut toutefois abandonner les rôles sexy ou stéréotypés que lui offre régulièrement depuis ses débuts le cinéma italien commercial. Parmi les nombreuses comédies légères tournées par Ornella Muti (avec Adriano Celentano, Paolo Villaggio ou Carlo Verdone), on distinguera Personne… n’est parfait ! (Nessuno è perfetto, 1981) fantaisie sur la différenciation sexuelle par le spécialiste de la question Pasquale Festa Campanile (cinéaste à réévaluer d’urgence), dans laquelle un homme sans qualité (Renato Pozzetto) découvre que sa sublime épouse est un ancien parachutiste allemand qui a décidé de changer de sexe en Suède.

Ornella Muti a également tourné un autre film avec Festa Campanile et Renato Pozzetto (auquel lui aussi nous rendrons hommage cet année à Locarno), Un povero ricco (1983). Dans un registre beaucoup plus dramatique, Festa Campanile a offert un beau rôle à Ornella Muti dans La Fille de Trieste (La ragazza di Trieste, 1981), un autre film sur la folie dans lequel elle retrouve Ben Gazzara, son partenaire de Conte de la folie ordinaire.

Dans les années 90, agréable surprise dans un itinéraire de femme et d’actrice en perpétuel mouvement, la carrière de l’actrice connaîtra un nouveau souffle en France. Alors qu’elle vient d’être élue plus belle femme du monde par un magazine américain, Ornella Muti traverse le cinéma d’auteur avec une aisance incroyable comme les productions commerciales. Elle réapparaît au côté de Jean-Pierre Léaud dans Pour rire ! (1996) de Lucas Belvaux (puis dans sa trilogie où elle formera un couple épatant avec François Morel), dans L’Inconnu de Strasbourg (1998) de Valeria Sarmiento, à la télévision aux côtés de Gérard Depardieu dans Le Comte de Monte Cristo (1999) de Josée Dayan ou dans des comédies grand public comme Jet Set, People ou Les Bronzés 3 : amis pour la vie, équivalents français du « ciné-panettone » italien. En 2004, elle fait une apparition dans le second film d’Asia Argento, le Livre de Jérémie (The Heart Is Deceitful Above All Things) Quoi de plus naturel que la rencontre de ces deux femmes, belles, provocantes, sensuelles, latines absolument, affranchies en somme ? En 2012 Ornella Muti a participé au film de Woody Allen tourné à Rome, To Rome With Love aux côtés d’une distribution internationale prestigieuse.

C’est un grand plaisir que d’accueillir ce soir Ornella Muti sur la scène de la Piazza Grande. Demain après-midi, le public du festival pourra assister à une conversation avec l’actrice italienne au Forum.

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