Arrivederci amore, ciao (2006) reste le meilleur film de genre italien réalisé en Italie depuis une éternité, et peut-être aussi le meilleur film politique. Fidèle à une tradition du polar italien, le retour sans lendemain du cinéaste Michele Soavi après un long intermède télévisuel (Soavi retournera hélas à la télévision avec des productions médiocres à cause de l’échec de son film en salles) est à la fois l’occasion d’un exercice de style dans la plus pure tradition du cinéma « pulp », et d’une critique féroce et intelligence des deux dernières décennies de décadence morale et d’emprise berlusconienne en Italie. Le personnage principal, Giorgio, est un ancien militant d’extrême gauche, réfugié en Amérique centrale pour échapper à la justice de son pays après l’explosion meurtrière d’une bombe. Son retour en Italie où il sollicite sa réhabilitation va s’effectuer à la faveur d’une succession spectaculaire de vols, trahisons, assassinats, et manipulations. Giorgio va croiser la route d’un patron de boîte de nuit, d’une bourgeoise malheureuse en ménage qui deviendra sa maîtresse, d’une jeune oie blanche de la démocratie chrétienne qu’il épousera par volonté d’intégration sociale. Et aussi d’un flic pourri jusqu’à la moelle, interprété par Michele Placido, acteur et réalisateur de Romanzo criminale. Tous seront les victimes de son arrivisme, de sa cupidité et de son désir de devenir « un citoyen honnête comme les autres ». Le film sidère par sa virtuosité technique, ses morceaux de bravoure, mais avant tout par sa noirceur, et Giorgio, véritable monstre de cynisme et de violence froide est formidablement incarné par Alessio Boni, révélé au public français dans Nos meilleures années.
Soavi a expliqué qu’après avoir filmé des morts vivants dans son précédent long métrage fantastique, Dellamore dellamorte (1990), il avait décidé de mettre en scène dans Arrivederci amore, ciao des vivants morts, évoluant dans un monde dévasté par le mal. Soavi a recontré d’énormes difficultés pour monter son film, qui n’a suscité qu’incompréhension et indifférence au moment de sa sortie : ce furent de nouvelles preuves que l’Italie était devenue allergique à la moindre idée de mise en scène (et d’idée tout court) dans un film. Depuis, on peut affirmer que Soavi avait montré la voie à une nouvelle génération de cinéastes italiens qui ont réalisé d’excellents films ces dix dernières années : Gomorra de Matteo Garrone (2008), Amore de Luca Guadagnino (2009), La Solitude des nombres premiers de Saverio Constanzo (2010).
Michele Soavi, né en 1957 à Milan a appris le cinéma dans l’industrie de la série B italienne des années 80. Il assure les postes de scénariste, d’assistant réalisateur et aussi d’acteur de complément, parfois sans être crédité, dans une vingtaine de films bis, Conan le barbare ou Mad Max du pauvre, films de guerre, d’action et d’horreur tournés à la chaîne par Umberto Lenzi, Lucio Fulci, Enzo Castellari ou Joe D’Amato, l’immortel auteur d’Antropophageous. C’est ce dernier qui offre sa chance à Soavi en décidant de produire son premier long métrage, Deliria sorti en France sous le titre de Bloody Bird et qui se révèle une excellente surprise. Ce huis clos horrifique avec tueur en série et meurtres grand guignolesques truffé de références à Mario Bava est beaucoup plus stylisé et ambitieux que les films de genre produits à la même époque en Italie. Bloody Bird est l’un des derniers bons films d’horreur italiens, héritier de la grande tradition du fantastique transalpin, ses éclairages écarlates et sa théâtralité baroque. Le premier film de Michele Soavi ne lésine pas sur les effets sanguinolents et les scènes choc. C’est surtout un exercice ludique qui témoigne d’une véritable intelligence dans le recyclage d’éléments archétypaux. Soavi organise une cérémonie sanglante et multiplie les dispositifs de distanciation et de mises en abîme. Il réussit une œuvre originale et virtuose, à la fois hommage cinéphilique, série B efficace et réflexion sur la peur au cinéma. Soavi est ensuite parrainé par Dario Argento qui produit ses deux films suivants, Sanctuaire (1989) et La Secte (1991). En 1994 Soavi décide de produire son projet le plus ambitieux, Dellamorte Dellamore, une histoire poétique et délirante de morts vivants d’après la bande dessinée italienne « Dylan Dog » avec Ruppert Everett dans le rôle principal, véritable déclaration d’amour au fantastique et aux deux maîtres de Soavi, Dario Argento bien sûr avec qui il partage le goût d’un cinéma opératique, et Terry Gilliam dont Soavi fut l’assistant sur Les Aventures du baron de Münchhausen tourné en Italie. Hélas, l’échec cuisant de Dellamorte Dellamore, totalement incompris à l’époque de sa sortie, oblige Soavi à un long exil à la télévision, où il signe notamment plusieurs polars. Pour son retour au grand écran en 2006, il se surpasse avec son meilleur film. Dans Arrivederci amore, ciao, adaptation d’un best seller italien de Massimo Carloto, Soavi multiplie les morceaux de bravoure, les idées baroques et les musiques entêtantes, dans la lignée de ses maîtres ou du cinéma d’action asiatique contemporain. Cependant le film échappe à l’exercice de style vain grâce à son imprégnation dans un contexte politique précis, (à la différence de ses précédents films) et à la description onirique qu’il propose de la société italienne, stylisée en cauchemar glacial, clinquant et vulgaire. On retrouve ici à la fois la conception fantasmatique du cinéma de Mario Bava (auquel Soavi rend hommage en un plan) et l’ampleur ironique de celui de Sergio Leone, qui lui aussi racontait les méfaits de pistoleros et de gangsters américains pour mieux parler de l’Histoire de l’Italie ou critiquer son époque.
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