Olivier Père

Tobe Hooper, cauchemars américains

Massacre à la tronçonneuse (1974)

Massacre à la tronçonneuse (1974)

Avec Massacre à la tronçonneuse (The Texas Chainsaw Massacre, 1974) Tobe Hooper transforme un fait-divers macabre en cauchemar surréaliste et réalise dès son premier long métrage officiel (il avait auparavant réalisé un essai underground) le film d’horreur ultime, et l’un des plus légendaires.

Sorti de nulle part (né à Austin en 1943, Tobe Hooper est un illustre inconnu lorsqu’il tourne son premier film avec une équipe semi-professionnelle et des capitaux de provenance douteuse), Massacre à la tronçonneuse est devenu un classique instantané du cinéma d’horreur des années 70, et continue de traumatiser chaque nouvelle génération de cinéphiles. Même si l’histoire d’un groupe de jeunes vacanciers idiots qui tombent dans le piège d’une famille de ploucs psychopathes a été filmée un millier de fois avant et après Massacre à la tronçonneuse, jamais aucun cinéaste n’est parvenu à montrer l’Amérique profonde, transformée en décharge humaine par la crise économique, sous un jour aussi terrifiant. Tobe Hooper s’inspire du même fait-divers macabre qui donna naissance à Psychose de Robert Bloch et d’Alfred Hitchcock, soit le cas gratiné de Ed Gein, péquenot assassin cannibale empailleur et nécrophile. La description hyperréaliste et quasi documentaire de charniers et d’abattoirs débouche sur une atmosphère surréaliste de folie, d’hystérie et de cauchemar, où Tobe Hooper se permet toutes les folies, osant des cadavres exquis et des calembours visuels du plus mauvais goût. Comme La Nuit des masques (Halloween) de John Carpenter, autre titre séminal du fantastique contemporain, Massacre à la tronçonneuse s’intéresse à la figure (ou plutôt son absence angoissante, cachée sous un masque de peau humaine) du tueur en série, cernant la terreur moderne de la répétition et du vide par l’assimilation de formes anciennes de superstition (le croque-mitaine).

Le Crocodile de la mort (1977)

Le Crocodile de la mort (1977)

Le Crocodile de la mort

Le Crocodile de la mort

Si Massacre à la tronçonneuse s’inspirait de la même histoire que Psychose, le film suivant de Tobe Hooper s’inspire directement du chef-d’œuvre d’Hitchcock. Le Crocodile de la mort (Eaten Alive, 1977) est un pastiche dégénéré de Psychose réalisé par le cinéaste texan dont on mesure mieux ici le degré d’ironie et de pure folie de son cinéma. C’est une nouvelle fois une production indépendante à petit budget tournée loin de Hollywood. Tandis que le célèbre Massacre à la tronçonneuse misait sur un hyperréalisme halluciné et un fait-divers atroce pour traumatiser le spectateur, Le Crocodile de la mort opte pour l’esthétisme des « EC comics », bandes dessinées macabres pour adultes. Les éclairages orangés, les musiques électroniques, les décors lugubres et les scènes sanguinolentes instaurent un climat profondément malsain et hystérique. Ce n’est rien en regard de la distribution, l’une des plus étranges de l’histoire du cinéma d’horreur, composée de vieilles gloires des années 50 en piteux état (Stuart Whitman, Mel Ferrer) et de seconds couteaux aux tronches de cauchemar (Neville Brand, Robert Englund, William Finley). La première phrase prononcée dans le film a été reprise dans les dialogues de Kill Bill volume 1. Elle est anthologique.

Les années 80 sont claudicantes pour Hooper qui se fait virer de deux tournages (The Dark aux Etats-Unis et Venin en Angleterre), réalise un téléfilm d’après Stephen King (Les Vampires de Salem) et obtient un succès planétaire pour un film de studio dont tout le monde attribue la véritable paternité à son puissant producteur, Steven Spielberg (Poltergeist).

The Dark est une série Z à la fois ratée et intéressante, par son caractère glauque et les aléas de son tournage. Commencé par Tobe Hooper au sortir du Crocodile de la mort, le film sera terminé par John « Bud » Cardos après le renvoi de Hooper par les producteurs. Il semblerait que l’élément fantastique du scénario (le tueur en série qui sème la terreur dans Los Angeles en décapitant et brûlant ses victimes est un extra-terrestre) ait été intégré au scénario très tardivement, voire après le début du tournage.

Affiche française de Massacres dans le train fantôme

Affiche française de Massacres dans le train fantôme

Le meilleur film de Hooper de cette période – et son premier réalisé pour un studio hollywoodien, en l’occurrence Universal, célèbre pour ses productions fantastiques dans les années 30 – est Massacres dans le train fantôme (The Funhouse, 1981), sorte de remake de son plus célèbre titre – comme le titre français l’explicite – situé dans une fête foraine, avec une ambiance onirique très réussie, et le portrait original d’un être monstrueux, à la fois victime pathétique et assassin sanguinaire, version triviale du fantôme de l’opéra et des « Freaks » de Tod Browning. Echec à sa sortie, Massacres dans le train fantôme a acquis au fil des années le statut mérité de film malade vénéré par les fantasticophiles éclairés.

Au milieu des années 80, Hooper signe un contrat de 5 films avec la Cannon, la compagnie des fameux producteurs israéliens Golan et Globus. Il n’en réalisera que trois (les projets Spiderman et Pinocchio tomberont à l’eau) qui n’obtiennent pas le succès attendu et sont des déconvenues artistiques. Lifeforce est un film de science-fiction ambitieux tourné en Grande-Bretagne mêlant vampirisme et extra-terrestres mais le résultat final est en deçà de son potentiel spectaculaire et le scénario, victime de nombreuses réécritures, est d’une grande confusion.

Massacres dans le train fantôme

Massacres dans le train fantôme

Massacre à la tronçonneuse 2 marque la rencontre de Dennis Hopper et de Tobe Hooper. Le film souffrit des habituels problèmes de budget et de divergences artistiques des productions Cannon et Tobe Hooper fut obligé de réduire ses visions surréalistes et couper le film de ses passages trop sanglants. Malgré une dimension ouvertement comique, cette suite reste terrifiante et dérangeante. Dennis Hopper y trouve un de ses rôles les plus déments. Il déclara par la suite que Massacre à la tronçonneuse 2 était le pire film de sa carrière. Mal accueilli au moment de sa sortie, car plus parodique que le premier opus, le film a été depuis réhabilité par les fans du cinéaste texan et contient de purs moments de folie et d’horreur dignes du Crocodile de la mort et de Massacres dans le train fantôme. L’invasion vient de Mars, remake d’une série B de science-fiction des années 50, est un ratage extrêmement embarrassant qui coule la collaboration entre Hooper et la Cannon mais aussi la carrière du cinéaste à Hollywood. Devant des effets spéciaux aussi amateurs, une direction artistique aussi hideuse, des acteurs jouant aussi mal, un scénario aussi inepte, on se demande où commence la volonté humoristique des auteurs et la débâcle d’un projet qui semble pâtir de gros problèmes de budget et de production. Nous n’avons pas vu les films suivants de Tobe Hooper, qui erre désormais dans les limbes de la télévision (séries, téléfilms), réalisant des films directement pour le câble ou la vidéo, ou des séries Z de plus en plus obscures qui jouissent d’une terrible réputation, à quelques exceptions près. Dommage car Hooper méritait mieux que cette descente aux enfers qui dure maintenant depuis près de trente ans. Son dernier long métrage en date, Djinn a été tourné aux Emirats arabes et vient d’être interdit par la famille royale qui a payé les producteurs locaux pour enterrer le film ! Mais Tobe Hooper appartient sans conteste à l’histoire du cinéma américain. Ses plus ardents admirateurs s’appellent Quentin Tarantino, Eli Roth ou Kiyoshi Kurosawa, qui disait récemment dans une interview pour le quotidien « Libération » que son monstre de cinéma préféré était le personnage interprété par Brad Dourif dans Combustion spontanée réalisé par Hooper en 1990.

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