
Kaïro (2001)
Du 14 mars au 19 avril, la Cinémathèque française propose une rétrospective exhaustive des films du grand cinéaste japonais Kiyoshi Kurosawa. Attention à ne pas se tromper de Kurosawa. Akira est un classique, Kiyoshi un postmoderne, auteur d’une œuvre abondante et protéiforme, cinéphile et intellectuel, grand admirateur de Godard mais aussi du cinéma de genre occidental des années 60-70-80 (il voue un culte à Richard Fleischer et Tobe Hooper.)
Kurosawa doit sa notoriété hors du Japon au succès de son angoissant thriller Cure (1999), suivi par une reconnaissance internationale grâce à la sélection de ses films dans les plus grands festivals (y compris Locarno qui présenta Séance, réalisé pour la télévision, en 2000), jusqu’à une forme de consécration en 2008 avec la sortie de Tokyo Sonata, l’un de ses films les plus accomplis.
Réalisé en 2001, Kaïro participe à la nouvelle génération des films de fantômes japonais, mais demeure un grand film sur la solitude, davantage que sur l’effroi. C’est d’ailleurs toute la beauté d’un film fragile sous sa perfection formelle, que de susciter la peur mais aussi la tristesse. Kaïro débute comme une variation autour de Ring de Hideo Nakata (film séminal de la nouvelle vague horrifique sur le continent asiatique), ou internet remplacerait les magnétoscopes, pour déboucher sur un constat apocalyptique, qui n’est pas sans rappeler la conclusion de Charisma (1999). Dès son générique, où le son désormais familier d’une connexion électronique raccorde avec le bruit des vagues et du vent (le film est raconté en flash-back depuis un bateau en partance pour l’Amérique du sud), Kaïro installe un système de réseaux de parasitage et d’altération du réel, jusqu’à la catastrophe finale. Tout commence par le suicide inexplicable d’un jeune informaticien et l’enquête de ses collègues. Ils découvrent bientôt que des fantômes hantent internet, et cherchent à entrer en contact avec les vivants. Malgré sa dimension ésotérique, le film ne renonce pas à expliciter son postulat fantastique, dans des scènes dialoguées inquiètes : il n’y a plus de place dans l’au-delà. Les morts avaient bien trouvé une antichambre pour rejoindre notre monde, mais elle a été détruite. Depuis, ils ont envahi Internet, enclenchant la contamination irréversible des vivants via les ordinateurs. Kaïro traite avec sérieux une idée délirante, et c’est le propre des grands films fantastiques. Il inverse dans le même mouvement les clichés sur son sujet (« la menace fantôme »), et c’est le propre des chefs-d’œuvre. Ici les fantômes appellent les vivants à l’aide. Car la mort est la solitude ultime, raconte le film. Cela veut aussi dire que la frontière est mince entre les limbes et l’environnement virtuel et aliénant des jeunes Japonais formatés et informatisés, en devenir spectral, et que la mort n’est plus en mesure d’apporter la moindre délivrance. Dans Kaïro, les fantômes, cruels, ne tuent pas les hommes, ils voudraient au contraire les rendre immortels, pour les enfermer à jamais dans leur solitude et les associer dans leur souffrance. Visuellement splendide, le film fait très peur (chaque apparition fantomatique est géniale, palpable, à glacer le sang) et impressionne surtout par une mise en scène d’une grande sophistication, qui confirme que Kiyoshi Kurosawa est à ce jour le meilleur héritier d’Antonioni. Kaïro est son Blow Up et la désertification progressive des espaces urbains, les paysages d’usines et de banlieues évoquent bien sûr Le Désert rouge et L’Éclipse. Terrifiant (vraiment!), théorique (peut-être), hermétique (pas tant que ça), Kaïro offre une expérience rare. Grâce à la Cinémathèque (projection le lundi 9 avril à 21h30), il ne faut pas hésiter à cliquer dans la zone interdite.
On pourra également revoir à la Cinémathèque (le mercredi 4 avril à 19h30) un film découvert en 1999 à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, Charisma, où un inspecteur de police s’exile dans une mystérieuse forêt dans laquelle s’affronte une communauté autour d’un arbre maléfique qui ronge peu à peu l’environnement naturel.
Charisma et Kaïro comptent parmi les titres les plus réussis du réalisateur de Cure, et apparaissent comme un diptyque sur le chaos. Sous ses apparences de conte fantastique, avec une atmosphère et des scènes terrifiantes, Kaïro prophétise un devenir fantomatique de l’humanité. Évoluant du polar à la fable, Charisma propose une vision cauchemardesque et allégorique du Japon moderne en lutte avec son passé, évoque le problème des sectes et des fanatiques écolos, avec une nouvelle fois une conclusion apocalyptique.

Kiyoshi Kurosawa
Kaïro (Pulse, 2001), un classique du J-Horror signé Kiyoshi Kurosawa, se distingue par son approche métaphorique et son atmosphère oppressante.
L’histoire s’ouvre sur le suicide inexplicable de Taguchi, un jeune informaticien retrouvé pendu dans son appartement. Ses collègues, dont Michi Kudo, découvrent une disquette contenant un message énigmatique. Parallèlement, Ryosuke, un étudiant, accède à un site internet étrange semblant connecter les vivants au monde des morts. À mesure que ce virus informatique se propage, des disparitions mystérieuses se multiplient à Tokyo, laissant derrière elles des traces de cendres. Le film entrelace deux intrigues convergentes pour explorer l’isolement et la déshumanisation dans une société hyperconnectée. Sorti en 2000, coïncidant avec l’essor de l’ADSL au Japon, Kaïro utilise l’horreur pour dépeindre une jeunesse japonaise aliénée dans un Japon post-Hiroshima, ultra-moderne et consumériste. Les fantômes, inspirés du yūrei eiga, symbolisent la désintégration de l’humain face à la technologie. Avec ses plans fixes, sa mise en scène minimaliste et ses décors urbains déserts filmés à l’aube, le film crée une ambiance glaçante et post-apocalyptique. Les apparitions fantomatiques, aux mouvements saccadés et inspirées de l’esthétique de Francis Bacon, renforcent cette sensation d’étrangeté.Kaïro explore la solitude et l’incommunicabilité, amplifiées par l’émergence d’Internet. Les ordinateurs et le web deviennent des portails pour des forces malveillantes, tandis que les écrans pixélisés et les interfaces datées des années 90-2000 instaurent une atmosphère inquiétante. Les fantômes émergeant des écrans symbolisent l’isolement paradoxal d’une société connectée.Précurseur de l’horreur informatique, le film anticipe les effets aliénants des réseaux sociaux et les angoisses liées à la technologie, alors perçue comme un espace mystérieux et potentiellement dangereux virus, Dark Web… Aujourd’hui, alors que l’horreur informatique évolue vers des thèmes comme la surveillance, les deepfakes ou la perte de vie privée, Kaïro reste une référence pour sa vision prophétique. Son ambiance nihiliste et ses fantômes numériques exploitent des peurs universelles : perdre le contrôle, être observé, ou se dissoudre dans le virtuel.
Pour un aperçu de son esthétique, voir la scène emblématique de la « Ghost Woman » :
https://www.youtube.com/watch?v=kkrALLLDigE