Olivier Père

Gens de Dublin de John Huston

Un repas du nouvel an dans la bonne société dublinoise du début du XXe siècle. Cette réunion conviviale rythmée par des chants, des histoires et des conversations ravivera pourtant chez une jeune femme le souvenir d’un homme aimé et mort à dix-sept ans. Rentrée chez elle, elle confiera son secret à son mari, qui découvrira à quel point son épouse lui est restée étrangère malgré des années de vie commune. John Huston est mort en 1987 à l’âge de 81 ans. Il avait presque terminé son trente-septième film, Gens de Dublin (The Dead), son plus beau. Huston était un baroudeur et un intellectuel, parfois un artiste. Mais c’est le cinéaste qui a eu le dernier mot. Il est permis de contester la valeur testamentaire des derniers films des grands maîtres du cinéma américain et l’importance artistique de leurs adieux par rapport à leurs classiques officiels : Walsh, Ford, Hawks, Chaplin… ont tiré leur révérence avec des titres admirables pour les uns, problématiques ou mineurs pour les autres. Concernant Huston, trêve de chipotage devant une évidence qui met tout le monde d’accord, les hustoniens convaincus et les cinéphiles dubitatifs : son dernier film, mis en scène peu de temps avant sa mort, Gens de Dublin d’après une nouvelle de James Joyce, est un chef-d’œuvre. On peut admirer un cinéaste pour une carrière entière ou seulement un film. Huston était un « auteur » à l’américaine, c’est-à-dire avant tout un scénariste, un aventurier et un homme cultivé qui alterna les films ambitieux et les commandes. Avec Gens de Dublin, Huston réussit l’impossible (adapter Joyce au cinéma) et réalise un film d’intérieurs à l’atmosphère feutrée qui se déroule le temps d’une soirée. Le film a quelque chose de funèbre, mais aussi de vivifiant. Il ne cesse d’aller et venir entre les plaisirs de la vie et le poids douloureux de la mort et du souvenir. Huston ressuscite une société qui n’existe plus depuis longtemps, et dont il réactive les rites et les coutumes avec émotion et nostalgie. Il puise dans Joyce et ses racines irlandaises, au crépuscule de sa vie, pour réussir un ultime long métrage nourri de réminiscences mais aussi placé sous le signe de la transmission. Gens de Dublin est écrit par le fils de Huston et interprétée par sa fille Angelica dans son plus beau rôle, entourée par une troupe de comédiens irlandais admirables. La fin du film, monologue sur un plan de cimetière, touche au sublime. Huston, qui consacra son dernier souffle à cette méditation sur la vie et la mort, est décidément parti en beauté.

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