Olivier Père

La Rivière d’argent de Raoul Walsh

Errol Flynn et Ann Sheridan dans La Rivière d'argent (1948)

Errol Flynn et Ann Sheridan dans La Rivière d’argent (1948)

La Rivière d’argent (Silver River, 1948) marque la fin de la collaboration entre Raoul Walsh et Errol Flynn, qui tournèrent ensemble sept films d’aventures, tous admirables. Cet adieu a des accents tragiques et atypiques pour les deux hommes, puisque La Rivière d’argent dresse le portrait d’un antihéros cynique et arriviste. Mike McComb, chassé de l’armée pour avoir brûlé un million de dollars qui risquait de tomber entre les mains des troupes sudistes, décide de n’obéir qu’à ses propres règles et devient un homme d’affaires sans scrupule. Il fait fortune dans le jeu, puis dans la banque, épouse la femme d’un rival qu’il avait conduit à la mort, mais son ambition sans limites finira par rencontrer des obstacles : les pièges que lui tendent des adversaires plus malhonnêtes que lui, et la campagne de dénigrement menée par son ancien avocat reconverti dans la politique. La Rivière d’argent est moins un western au sens strict qu’un conte moral sur le capitalisme sauvage. Le film aborde les effets pervers et les limites de l’individualisme et du carriérisme encouragés par le système américain. En effet, chez Walsh tous les coups ne sont pas permis, et l’action s’accompagne toujours de la réflexion. Le personnage principal expérimente les limites de sa misanthropie et de sa cupidité pour finalement transcender son mépris pour la société et comprendre l’importance de ses responsabilités morales devant la communauté. La dimension politique du film n’occulte pas le lyrisme et l’énergie habituels de Walsh. Quant à l’exceptionnel pouvoir de séduction de Flynn, malgré un vieillissement prématuré du à ses excès de boisson, il accentue la complexité de son personnage. L’épisode central du film, l’associé trahi par concupiscence, est bien sûr tiré de la légende de David et Bethsabée (qui sera filmée par Henry King et son habituel talent d’illustrateur trois ans plus tard.) Lorsque le cinéaste allemand Christoph Hochhäusler préparait Unter dir die Stadt (Sous toi, la ville) lointainement inspiré lui aussi de cette histoire biblique transposée dans les milieux contemporains de la haute finance, je lui avais conseillé de voir La Rivière d’argent qu’il ne connaissait pas, malgré son goût pour le cinéma américain classique, en lui précisant que c’était le meilleur film jamais fait sur le capitalisme. Il ne l’a pas regretté, je crois. Son film fut présenté au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard en 2010, puis distribué en salles à la fin de la même année en France. Peu de journalistes mentionnèrent cette référence biblique, et encore moins la lointaine parenté avec un chef-d’œuvre hollywoodien.

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