Bonjour tristesse (1958) ressort sur les écrans français grâce à l’heureuse initiative du distributeur Flash Pictures. Signé Otto Preminger, c’est un chef-d’œuvre méconnu du cinéma américain, et un titre un peu à part dans la filmographie d’un de nos cinéastes de chevet. Comme le souligne Jacques Lourcelles dans son « Dictionnaire des films » (collection Bouquins, éditions Robert Laffont), Bonjour tristesse est à cheval entre les deux périodes de la carrière de Preminger, les films noirs hollywoodiens, centrés sur des études psychologiques – et souvent féminines – très subtiles, et les grandes fresques internationales sur des sujets historiques ou politiques. Bonjour tristesse est le seul film de Preminger qui utilise la forme de ces dernières (Cinémascope et Technicolor) pour raconter une histoire infiniment intime, dénuée de spectaculaire, autour d’une relation père fille et des émois amoureux d’une jeune adolescente de la bourgeoisie française, d’après le célèbre premier roman de Françoise Sagan. Modèle d’adaptation, le film est fidèle à l’esprit, sinon à la lettre du livre, mais réussit à lui donner une forme plus cinématographique, grâce au génie de la mise en scène de Preminger. Bonjour tristesse est raconté en flash-back, et les images de Paris en noir et blanc du début contrastent avec les couleurs rayonnantes de la Méditerranée, dans les souvenirs de la jeune Cécile, vieillie prématurément par les événements décrits par le film.
La beauté plastique du film, sa modernité, sa picturalité (influence discrète de Matisse) frappent toujours le spectateur et Le Mépris de Godard – omniprésence de la mer, accident de voiture – ne serait sans doute pas le même si le cinéaste n’avait pas autant admiré Preminger. Jean Seberg, pour la deuxième fois devant la caméra du cinéaste, apporte la confirmation que Preminger était un Pygmalion génial et un immense directeur d’actrices. Malgré les nombreuses jeunes débutantes qui apparaîtront dans les films de Preminger de la fin des années 50 et des années 60, Jean Seberg demeurera sa plus importante et remarquable découverte.
Jean Seberg, une invention premingerienne
L’adaptation cinématographique de la pièce de George Bernard Shaw « Sainte Jeanne » en 1957 posait à Otto Preminger le problème suivant. Le passage de la scène à l’écran interdisait l’artifice théâtral qui permet, à la faveur de la distance entre la scène et les spectateurs, à des comédiennes plus âgées que le rôle d’interpréter la Pucelle d’Orléans. Preminger va lancer une vaste opération publicitaire afin de chercher, sur le territoire des Etats-Unis et dans le monde entier, l’adolescente susceptible d’être la Jeanne idéale. Dix-huit mille jeunes femmes furent auditionnées, dont deux mille par le cinéaste lui-même. A l’issue du plus vaste casting de l’histoire du cinéma, Otto Preminger choisit Jean Seberg, une inconnue de dix-sept ans, fille d’un pharmacien de l’Iowa, sans aucune expérience cinématographique ni théâtrale. Preminger est impressionné par la force et la simplicité de cette frêle jeune fille blonde, et devient son Pygmalion, la faisant répéter les scènes principales du film avec les autres comédiens durant trois semaines avant les premières prises de vues. Lors de la mort de Jeanne sur le bûcher, les flammes s’approchent dangereusement du visage de la jeune actrice qui, terrifiée, ne peut réprimer un hurlement véritable devant la caméra. La scène sera retournée ultérieurement avec un trucage mettant la comédienne hors de danger. Malgré la beauté du film et l’interprétation géniale de Jean Seberg, Sainte Jeanne est un grave échec public et critique. Les commentaires sur le jeu de Jean Seberg sont particulièrement injustes et cruels. Preminger ne se démonte pas et confie à sa protégée le rôle principal de son film suivant, une adaptation du roman de Françoise Sagan, Bonjour tristesse : nouveau chef-d’œuvre, incompris au moment de sa sortie et qui n’obtient pas le succès espéré. Jean Seberg se tourne vers la France et joue dans le premier film d’un jeune critique des Cahiers du cinéma, grand admirateur de Preminger : A bout de souffle de Jean-Luc Godard. Loin de Hollywood, c’est ce film qui fera de Jean Seberg une star et une icône moderne (cheveux courts et t-shirt « New York Herald Tribune ») dans le monde entier, à jamais. Elle enchaîne alors les productions européennes, s’égare dans des productions commerciales ou underground sans jamais retrouver la grâce du film de Godard. En Amérique, hormis un rôle magnifique dans le génial Lilith de Robert Rossen aux côtés de Warren Beatty, elle joue dans des films hollywoodiens standards, obscurs ou grotesques, ou les trois à la fois comme La Kermesse de l’ouest, western musical de Joshua Logan où elle pousse la chansonnette avec Clint Eastwood et Lee Marvin. Son mariage avec l’écrivain Romain Gary est l’occasion de deux navets tournés sous sa direction, Les oiseaux vont mourir au Pérou et Kill !, nadir de la carrière de l’actrice. Le talent et la beauté de Jean Seberg brillent une ultime fois dans le sublime poème filmé de Philippe Garrel Les Hautes Solitudes en 1974, dans lequel la détresse et la fragilité de l’actrice, mais aussi son extraordinaire expressivité, apparaissent sans fard. Plusieurs événements tragiques dans sa vie privée et une campagne de calomnie lancée par le F.B.I. en raison de son engagement politique auprès des Black Panthers la conduisent à la dépression et à des tentatives de suicide régulières. Elle est retrouvée morte à l’arrière d’une voiture, à Paris, onze jours après une overdose de barbituriques, en septembre 1979.
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