Revoir l’immense The Host au Festival de Busan (même dans une version 3D déplorable) nous invite à nous souvenir de King Kong (1933), premier et plus grand film de monstre de l’histoire du cinéma, qui compte parmi nos films préférés, à la fois expérience inoubliable de jeune spectateur et plaisir sans cesse renouvelé de cinéphile.
Si King Kong repose au panthéon des monstres du patrimoine fantastique, c’est aussi parce que King Kong, le film, est un chef-d’œuvre absolu, qui a gardé intact depuis sa lointaine sortie son pouvoir de sidération, son érotisme et sa cruauté. King Kong marque l’accomplissement artistique de la rencontre entre les cinéastes Schoedsack et Cooper, spécialistes du documentaire épique et animalier, véritables aventuriers qui avaient sillonné ensemble les contrées les plus lointaines. De son côté, Willis O’Brien, pionnier des effets spéciaux, va inventer pour ce film des nouvelles techniques et pousser les trucages à un degré inégalable de perfection et de poésie. La contribution du romancier Edgar Wallace, décédé avant le tournage du film, reste beaucoup plus floue et controversée. Le passé des deux cinéastes leur a sans doute donné l’idée pirandelliènne du film dans le film, puisque le début de King Kong présente une équipe de cinéma souhaitant ramener d’une île mystérieuse des prises de vue sensationnelles, et qui embarque avec elle une jeune chômeuse en guise d’actrice débutante. Après avoir exploré le monde sauvage, Cooper veut avec King Kong s’attaquer à l’exploration des fantasmes humains : « Si j’ai rêvé King Kong, c’est pour m’exciter. Pour plaire au public aussi, bien sûr, mais je voulais surtout me faire plaisir. » On ne peut pas si bien dire. King Kong reste la plus belle illustration cinématographique du mythe de la bestialité. Les images troublantes de la peau laiteuse de la douce et sexy Fay Wray caressée par les doigts gigantesques du gorille amoureux sont à ranger en bonne place dans la volumineuse encyclopédie des pathologies sexuelles à l’écran. Réalisé au début des années 30, King Kong est un film déchaîné, parce que les foudres de la censure (le fameux et grotesque code Hays) ne s’étaient pas encore abattues pour toujours sur Hollywood. Les producteurs, scénaristes et cinéastes pouvaient encore assouvir leur férocité et leurs fantasmes sexuels dans leurs films (Stroheim, Walsh et Sternberg ne s’en sont pas privés) ou y déverser des flots de violence et de folie (comme le Scarface d’Howard Hawks et Ben Hecht). Dans des conditions de créativité et de liberté exceptionnelles, avec un budget colossal pour l’époque, les auteurs de King Kong ont pu donner libre cours à leur imagination délirante et sadique. King Kong est poème fantastique qui a fasciné les spectateurs du monde entier, du public populaire aux surréalistes français. Jusqu’aux nouvelles générations, qui continuent de préférer l’original aux nouvelles versions et aux contrefaçons. Nous avouons une faiblesse coupable pour le remake de John Guillermin produit par Dino De Laurentiis réalisé en 1976. Les effets spéciaux sont inférieurs à ceux de Willis O’Brien mais ne manquent pas de charme car ils sont tombés en désuétude beaucoup plus vite que ceux de la version de 1933. Le film bénéficie d’une très belle musique de John Barry et d’une mise en scène spectaculaire. Le remake de Peter Jackson (2005) se distingue par des effets numériques exténuants et une absence totale d’érotisme malgré la belle Naomi Watts.
King Kong de Ernest B. Schoedsack et Merian C. Cooper
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