Olivier Père

Quel est Mon noM ? de Melvil Poupaud

De retour du Festival de Toronto et d’un crochet par la Suisse, je découvre parmi mon courrier, sur mon bureau parisien, le livre de Melvil Poupaud, publié chez Stock. Célèbre pour avoir débuté sa carrière d’acteur à l’âge de dix ans dans La Ville des Pirates de Raùl Ruiz en 1983, Melvil Poupaud est devenu le ciné-fils du cinéaste chilien en tournant dix films avec lui, enfant, adolescent puis adulte, de L’île au trésor aux Mystères de Lisbonne en passant par L’Eveillé du pont de l’Alma ou Généalogies d’un crime. Des débuts aussi précoces expliquent en partie que Melvil soit en mesure d’écrire à moins de quarante ans un livre essai récapitulatif qui raconte sa vie d’acteur (plus de 60 films pour le cinéma), mais aussi ses vies rêvées d’enfant acteur, musicien, cinéaste, et une biographie qui laisse rêveur puisque Melvil a connu, croisé, aimé des personnalités aussi extraordinaires que Jacques Lacan, Serge Daney, sa mère Chantal Poupaud, célèbre attachée de presse parisienne et grande noctambule, Marcello Mastroianni et Catherine Deneuve (parents de son premier amour et meilleure amie Chiara Mastroianni), Marguerite Duras. Plus les amis Philippe Parreno, Charles de Meaux, ou son ex femme Georgina qui sont invités avec quelques autres à laisser des notes en bas de page, pour corriger les approximations enthousiastes de Melvil. Tous traversent le livre avec élégance. L’élégance, le charme, la modestie et la générosité, ce sont les qualités qui caractérisent Melvil dans la vie et que l’on retrouve dans ce livre. N’oublions pas une insatiable curiosité pour tout ce qui touche à l’art et à la création, la volonté de décortiquer le sens caché de la vie sans doute héritée de la fréquentation de Ruiz, esprit encyclopédique à la culture labyrinthique et ludique. Melvil est plus fasciné par les artistes que par les œuvres. Il envisage le cinéma – mais aussi la vie – comme une somme d’aventures, de rencontres et d’expériences. Que ce soit le tournage au Vietnam d’une superproduction française honteuse (L’Amant), d’un film de guérilla artistique en Asie Centrale (Shimkent Hotel de Charles de Meaux) ou au Liban (Un homme perdu de Danièle Arbid), ce qui compte c’est l’histoire d’amour platonique avec la jeune actrice principale, les embrouilles avec des rebelles locaux qui prennent un acteur en otage et menacent de le fusiller si le réalisateur ne leur donne pas cent dollars ou le temps passé à Beyrouth avec le photographe Antoine d’Agata, source d’inspiration du personnage que joue Melvil dans le film de Danièle.
Le cinéma comme vaste terrain de jeu, où l’on peut être je et un autre, ne pas avoir peur de se démultiplier, de disparaître ou de perdre son identité, c’est aussi une des piste de ce livre, où Melvil rappelle que dans les articles de journaux ou sur des affiches de films qui n’ont jamais vu le jour, on l’appelait Melvin Poupard ou Melvil Paupaud. Quel est ton nom, en effet ?
Livre de ciné-fils (mais pas de cinéphile), « Quel est Mon noM ? » est aussi un livre de cinéaste. Avec ses premiers cachets, Melvil a acheté une caméra et mis en scène des petits films avec son frère et ses amis, absolument remarquables, dérangeants ou hilarants (le pastiche rohmérien Rémi, qui fâcha le maître) disponibles en compilation dans un DVD édité chez MK2 il y a quelques années.
La plupart de ces films explorent le thème du dédoublement de personnalité, qui semble obséder le jeune acteur, habitué depuis l’âge de dix ans à jouer les criminels ou côtoyer des personnages inquiétants derrière la caméra de Ruiz.
Melvil
(2006) est à la fois la conclusion d’un travail entrepris par Melvil Poupaud dès l’enfance, ainsi qu’une ouverture vers une matière cinématographique et poétique beaucoup plus complexe, mêlant le fantastique et le quotidien, le romanesque et l’intime, avec une profusion d’images et d’idées saisissantes. Cet autoportrait en forme de retable, miroir à trois faces, est un film à la première personne, mais la personne Melvil ne cesse de se dédoubler et de se métamorphoser devant la caméra, tour à tour fils, père, lui-même et un autre. Dans la première aventure, « Le Fils », il incarne un extraterrestre nu atterrissant dans une forêt (entre Terminator, Predator et Tropical Malady) et observant une famille dans une maison de campagne, avant de la rejoindre. Est-il une présence invisible, l’ange de la visitation, ou l’enfant prodigue qui (se) fait du cinéma ? Dans la seconde histoire, « Le Recours », Melvil avec sa femme et sa fille en vacances est remplacé par un deuxième Melvil sans que personne ne remarque la substitution, dans la lignée d’un conte de Maupassant, de Poe, des films de son mentor Raúl Ruiz ou comme le note plus prosaïquement Melvil, du remake américain du Retour de Martin Guerre, Sommersby. Dans « Le cinéma », Melvil entre deux prises d’un tournage de François Ozon (Le temps qui reste, un de ses meilleurs rôles avec le génial Conte d’été d’Eric Rohmer et Un conte de Noel d’Arnaud Desplechin, Melvil aime les contes) tue le temps dans sa chambre d’hôtel, et l’hyperréalisme glisse insidieusement vers le cauchemar.
J’ai présenté Melvil en séance spéciale et unique à la Quinzaine des Réalisateurs en 2006 à Cannes, puis à Athènes en 2008, avec son auteur. Deux projections seulement. Melvil Poupaud, dans un triple geste de dandysme, de pudeur et de modestie, n’a pas souhaité la diffusion commerciale et l’édition DVD de son unique long métrage.
C’est donc le secret le mieux gardé du cinéma français alternatif, et un des derniers films véritablement « underground. », dont la version papier, Quel est Mon noM ?, mélange avec beaucoup d’intelligence rêve et réalité, mémoire et fiction (un scénario assez ésotérique « La Nuit des temps » vient parasiter le fil des souvenirs de MP), texte et image. La magnifique iconographie du livre réunit des cartes postales de Serge Daney, des photos et des coupures de journaux, trésors extraits des boites à chaussures dans lesquelles Melvil entasse des traces de vie et qu’il offre au lecteur dans un geste artistique (le mot « littéraire » est trop limitatif pour ce livre objet) à la fois réflexif, introspectif et formidablement généreux.

Melvil Poupaud à Athènes en avril 2008. Photo d'Helen Grigoriadou.

Melvil Poupaud à Athènes en avril 2008. Photo d’Helen Grigoriadou.

Catégories : Uncategorized

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *