Olivier Père

Rolling Thunder de John Flynn

Parmi les bonnes nouvelles pour les cinéphiles, ces derniers mois, il y a la disponibilité en DVD de films longtemps introuvables, grâce aux collections « Archive » chez Warner et « Limited Edition » chez MGM, qui permettent de posséder enfin des titres des catalogues des studios américains, fameux ou obscurs, privés jusqu’à présent d’éditions DVD (Gaumont a fait la même chose en France avec la collection « Gaumont à la demande ».) Parmi les centaines de titres désormais accessibles, bon nombre de mes films préférés que j’ai pu revoir dans de bonnes conditions après des années de frustration et des visionnements dans des copies VHS, de souvenirs lointains de projections dans les salles de cinéma ou à la Cinémathèque française dans des copies usées : plein de classiques signés Tourneur, Walsh ou Minnelli, mais aussi beaucoup de films plus récents et moins respectables comme l’incroyable Dernier Train du Katanga (Dark of the Sun/The Mercenaries, 1968) de Jack Cardiff, film d’aventures très violent qui a traumatisé plusieurs générations de cinéphiles au cinéma ou à la télévision dont la très belle musique composée par le français Jacques Loussier réapparaît en forme d’hommage dans Inglourious Basterds de Quentin Tarantino. Reçu et revu immédiatement il y a quelques jours un autre de ces films bénéficiant d’un culte fervent mais trop confidentiel, inédit en salle et rarement montré en France malgré une formidable réputation aux États-Unis (Tarantino avait baptisé sa société de distribution vidéo en hommage au film, et le cite dans Pulp Fiction) : Rolling Thunder de John Flynn (1977). Ce film conjugue les talents d’un cinéaste héritier de Robert Aldrich, responsable de quelques excellents polars dans les années 70 et 80 (Échec à l’organisation, Les Massacreurs de Brooklyn, Pacte avec un tueur) et du scénariste Paul Schrader, qui écrit Rolling Thunder deux ans après son chef-d’œuvre Taxi Driver, mis en scène par Martin Scorsese. Les deux films explorent les thèmes de la paranoïa, de la solitude et de la violence et prennent comme personnage principal un vétéran du Vietnam, mais en inversant le postulat de base et le décor. Dans Rolling Thunder, un soldat couvert de médailles est reçu comme un héros dans une petite ville de la campagne américaine, avec trois autres compagnons. Prisonniers de guerre dans un camp militaire, ils rentrent au pays complètement déphasés après plusieurs années loin de leurs familles. William Devane est le Major Charles Ranes, shérif dans le civil. En son absence, sa femme a connu un autre homme et lui annonce son intention de divorcer. Son fils, âgé d’une dizaine d’années, n’a aucun souvenir de son père, parti au Vietnam quand il était tout petit. C’est donc un environnement conjugal sinistré qui attend Ranes, qui dort dans un petit local qui sert de dépôt d’armes et de munitions et évoque la cellule où il fut méthodiquement torturé par les Viêt-Cong. Ranes explique à l’amant de sa femme que pour survivre à la torture pendant sept longues années dans le fameux « Hanoi Hilton », il a appris à développer une véritable insensibilité – et une forme de plaisir – en face de la douleur physique. Il lui en fait même la démonstration, en lui expliquant le supplice de la corde auquel il était soumis.  Ranes, fêté comme un héros de guerre, reçoit de la part des autorités une forte somme en pièces d’argent. Il attire la convoitise de gangsters qui tuent sa femme et son fils sous ses yeux et détruisent sa main en la passant dans le broyeur d’un évier. Ranes survit à ses blessures, un crochet en métal au bout du bras droit. Rolling Thunder s’inscrit dans le filon du cinéma d’exploitation d’auto-défense (Justice sauvage de Phil Karlson version rurale, Un justicier dans la ville de Michael Winner version urbaine) sur lequel viennent se greffer les obsessions existentialistes de Schrader. Le scénariste invente avec Ranes un personnage insensible, mort selon ses propres mots dans les geôles Viêt-Cong. C’est une sorte de zombie qui revient sur le sol américain (à l’instar du film d’horreur de Bob Clark sur le même sujet), ce qui explique son impassibilité à la nouvelle de l’infidélité de sa femme, et sa résistance à la douleur physique. Seule la mort de son fils provoquera en lui un désir de vengeance froide, qu’il accomplira méthodiquement avec l’aide d’une jeune femme amoureuse de lui (et qu’il utilise sans scrupule) et Johnny son ancien compagnon d’arme déboussolé qui s’ennuie à mourir depuis son retour dans sa famille et accueille avec soulagement cette invitation à la violence. Il s’agit d’un des meilleurs scénarios de Schrader (avec Obsession et The Yakuza) et un titre important du cinéma américain des années 70, magnifiquement interprété par William Devane, Linda Haynes et Tommy Lee Jones, avec un massacre expiatoire final qui fait référence à la fois à Taxi Driver et à La Horde sauvage. Les deux hommes, symboliquement vêtus de leurs uniformes, retrouvent les tueurs dans un bordel à la frontière mexicaine et les éliminent un à un, dans une fusillade sanglante. Réplique d’anthologie lorsqu’une prostituée demande à Johnny ce qu’il va faire : « I’m gonna kill a bunch of people ». Aucune afféterie stylistique dans la mise en scène de John Flynn, qui n’utilise pas les ralentis popularisés par Peckinpah. Ce grand film devrait voir le nombre de ses fans augmenter grâce à ce DVD américain, de qualité correcte.

Affiche de Rolling Thunder (1977)

Affiche de Rolling Thunder (1977)

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