Olivier Père

Cannes 2011 – Bernardo Bertolucci, Palme d’Or d’honneur du 64ème Festival de Cannes

Le Festival de Cannes a décerné pour la première fois cette année une Palme d’Or spéciale en l’honneur d’un grand cinéaste qui n’a jamais gagné la récompense suprême. Bernardo Bertolucci en est le premier lauréat et ce n’est que justice. Il avait déjà reçu, en 1998, le Léopard d’honneur pour l’ensemble de sa carrière au Festival del film Locarno.
Né à Parme en 1941, fils du poète Attilio Bertolucci, Bernardo Bertolucci est un cinéphile passionné qui devient le très jeune assistant réalisateur de Pier Paolo Pasolini sur le tournage d’Accattone.
Bernardo Bertolucci fut salué par la critique comme un auteur majeur du nouveau cinéma italien dès son deuxième film, Prima della rivoluzione, en 1964. Il signe ensuite un essai avant-gardiste très godardien, Partner, puis quitte le cinéma underground pour des projets chers et ambitieux.
En 1970 l’adaptation d’un roman de Moravia sur le fascisme, Le Conformiste avec Jean-Louis Trintignant, impose Bertolucci comme un styliste de la caméra, virtuose et provocateur. Cette réputation se confirme avec Le Dernier Tango à Paris, psychodrame sexuel qui offre à Marlon Brando un rôle à contre-emploi et à sa démesure, et obtient un retentissent succès de scandale. En 1976 Bertolucci entreprend un projet extrêmement ambitieux avec 1900, le plus gros budget de l’histoire du cinéma italien. Cette fresque violente et lyrique de plus de cinq heures sur l’Italie du XXe siècle mêle les influences esthétiques d’Hollywood, Cinecittà et Mosfilm et réunit une brillante distribution internationale : Gérard Depardieu, Robert De Niro, Burt Lancaster, Donald Sutherland… Controversé à l’époque de sa sortie, 1900 n’en demeure pas moins un monument stupéfiant d’audace et de beauté.
Moins célèbre que Le Dernier Tango à Paris, premier hit international de B.B., victimes en leur temps de sévères échecs publics et critiques, La Luna (1979, photo en tête de texte) et La Tragédie d’un homme ridicule (1981) sont aujourd’hui considérés par ceux qui aiment Bertolucci au-delà des chichis comme les deux chefs-d’œuvre secrets, et les titres les plus passionnants et personnels du cinéaste. Bertolucci réalise La Luna après le tournage fleuve de sa colossale fresque historique 1900.
Le retour à un sujet contemporain et un projet plus léger en termes de production permet à Bertolucci de revenir à un style de film proche de ses premiers longs métrages et d’explorer à nouveau les thèmes centraux de son cinéma : les relations conflictuelles entre les différentes générations, Œdipe, l’amour de l’opéra verdien. Pour une fois la figure du père est absente et Bertolucci, cas unique dans sa filmographie, donne le rôle principal à la mère, une grande cantatrice américaine qui quitte New York pour revenir à Rome après la mort de son second mari, accompagné de son fils, un adolescent qui ne connaît pas son père. La Luna sentait le soufre en 1979 à cause de l’irruption dans le scénario de la drogue et de l’inceste. Depuis, le film s’est imposé comme le grand mélodrame lyrique de B.B., un véritable opéra psychanalytique caractérisé par splendeur visuelle et sonore de chaque plan (beauté des acteurs, raffinement ultime des villes, des intérieurs, des mouvements de caméra, de la lumière). C’est aussi un véritable film culte, l’équivalent pour la modernité européenne des mélos de Sirk ou de Minnelli des années 50, puisqu’il divise encore les cinéphiles (kitch ou sublime ?) Le statut du film suivant, La Tragédie d’un homme ridicule, est plus simple : c’est le film préféré de ceux qui n’aiment pas trop B.B., ou se méfient de son histrionisme. La Tragédie d’un homme ridicule est en effet un film compliqué, opaque dans son déroulement (on pense aux derniers Buñuel), presque ingrat et pourtant c’est le grand film politique sur l’Italie du début des années 80, plongée dans le chaos de la violence terroriste. On ne comprend rien, mais on saisit tout. Ugo Tognazzi, transfuge de la grande comédie à l’italienne est génial en patron d’une usine de fromage dont le fils est enlevé au début du film, prétexte à une enquête qui débouche sur l’absurde. Bertolucci décida après les premières projections au Festival de Cannes d’ajouter une voix-off que l’on entend tout au long du film, pour le rendre moins hermétique. Après un constat aussi désespéré sur son pays, Bertolucci ne filmera plus l’Italie pendant quinze ans, préférant s’envoler pour la Chine, l’Inde et l’Afrique. Au début des années 80 Bernardo Bertolucci s’intéresse en effet à la Chine et envisage l’idée d’y tourner un film. Il a le double désir de s’éloigner de l’Italie à laquelle il a consacré de près ou de loin tous ses films, et de filmer un pays dont les secousses idéologiques et politiques ont bouleversé la pensée et l’histoire du XXe siècle. Le Dernier Empereur évoque en flash-back la vie du dernier empereur de Chine Pu Yi, de 1908, où il monte à trois ans sur le trône impérial à 1967, la fin de sa vie où il devient jardinier du parc botanique de Pékin, en passant par la collaboration avec l’envahisseur japonais au cours de laquelle il devient un souverain fantoche et décadent et la révolution chinoise durant laquelle il est rééduqué. Le film est basé sur l’autobiographie de l’empereur Pu Yi qu’il écrivit avec son frère Pu Chieh et l’éditeur Li Wenda, qui deviendront tous deux conseillers techniques sur le film. Le projet devait au départ aboutir à un téléfilm en plusieurs épisodes d’une durée de dix heures, mais le producteur anglais Jeremy Thomas opte pour un long métrage de cinéma et réunit un budget de 25 millions de dollars, somme exceptionnelle pour le cinéaste italien. La production obtient également du gouvernement chinois l’autorisation de tourner dans La Cité Interdite, une première pour un film de fiction occidental. 19.000 figurants, une direction artistique et des décors naturels splendides satisfont le goût de Bertolucci pour les mises en scène raffinées et sensuelles, même si le cinéaste livre un long-métrage qui peut sembler plus académique que ses précédentes réalisations. L’épisode le plus bertoluccien concerne sans doute l’exil de Pu Yi en Mandchourie, où l’empereur sombre dans la drogue et la débauche aux côtés de son épouse l’impératrice Wan Yung.
Le film fut un triomphe commercial dans le monde entier et établit un record.
Nommé dans neuf catégories aux Oscars en 1988, Le Dernier Empereur les remporta toutes : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleure photo, meilleur montage, meilleure musique, meilleurs costumes, meilleurs décors et meilleur son.
Après la pluie d’Oscars du Dernier Empereur, Bertolucci réalise deux autres films hors d’Italie, tournés vers l’Afrique et la spiritualité orientale, Un thé au Sahara  d’après Paul Bowles et Little Buddha, qui ne rencontreront pas le succès escompté.
Bertolucci a connu un destin d’enfant terrible puis d’enfant gâté.
Il apparaît surtout comme un des seuls grands cinéastes maniéristes du cinéma moderne, dont l’œuvre propose un travail d’admiration (et parfois d’imitation) de Godard, Pasolini, Antonioni, Visconti. En cela, Bertolucci se rapproche davantage de Dario Argento (avec qui il collabora au scénario de Il était une fois dans l’ouest de Sergio Leone) que de Marco Bellocchio, même si ces trois cinéastes ont souvent parlé de la même chose au même moment : le trauma familial, la perte d’identité et la révolte anarchiste. La politique ou la psychanalyse ont toujours soulevé chez Bertolucci des enjeux (et des émotions) esthétiques et formelles, que ce soit dans des films intimistes et sexuels comme Le Dernier Tango à Paris et La Luna, des films plus hermétiques comme La Stratégie de l’araignée  d’après Borgès et La Tragédie d’un homme ridicule ou des fresques historiques à gros budget comme 1900 et Le Dernier Empereur. Aussi à l’aise dans le mélodrame miniature que dans les mouvements de foule, Bertolucci, esthète et érotomane, aime se concentrer sur des motifs et de détails qui peuvent être aussi bien plastiques que psychologiques. On pourrait parler de haute couture à propos du cinéma de Bertolucci, qui a préféré clore provisoirement son œuvre sur un mode mineur avec des titres au propos plus modestes, Beauté volée, Shanduraï et Innocents, qui célèbrent la jeunesse et la beauté de leurs interprètes, Liv Tyler, Thandie Newton, Eva Green, Michael Pitt et Louis Garrel.

 

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