Olivier Père

Pleins feux sur la Cannon à la Film Society du Lincoln Center

Cet été, Le Festival del film Locarno avait décerné le prix Raimondo Rezzonico du meilleur producteur indépendant à Menahem Golan, co-fondateur de Cannon Films. Un choix audacieux et inattendu qui récompensait une figure emblématique mais aussi controversée du cinéma international des années 80. C’était au tour de la prestigieuse Film Society du Lincoln Center à New York, une cinémathèque de rêve pour les cinéphiles du monde entier, de proposer une large rétrospective à Menahem Golan et son cousin Yoram Globus (en leur présence), du 19 au 24 novembre, intitulée « The Cannon films Canon ». Mon petit doigt me dit que Scott Foundas, un des meilleurs critiques américains, depuis peu programmateur au Lincoln Center et très attentif à la vie des festivals du monde entier, n’est pas pour rien dans cette programmation réjouissante qui vient compléter celle de Locarno, avec la projection de treize films rares et représentatifs de la rocambolesque décennie Cannon. Notre hommage à Menahem Golan saluait un véritable aventurier de la production indépendante, porté par un sens des affaires et une passion hors du commun. Golan est un conquérant qui créa de toutes pièces un vaste empire cinématographique, réalisant, produisant et distribuant des longs métrages dans le monde entier, et dont l’enthousiasme boulimique est associé à plus de 200 titres, du cinéma d’exploitation le plus extravagant jusqu’aux films de prestige signés par de grands auteurs. Menahem Golan est né Menahem Globus à Tibériade en 1929. Pilote de chasse dans l’armée israélienne, puis aspirant acteur à Londres, Golan est l’assistant de Roger Corman sur The Young Racers. Il s’associe en 1963 à son cousin Yoram Globus pour produire des films israéliens. Tentés par Hollywood, les deux cousins rachètent en 1979 une société en faillite, The Cannon Group, et enchaînent les tournages. Ces séries B modernes interprétées par Chuck Norris (la série des Missing in Action, Delta Force, Invasion USA, etc.), Charles Bronson (la série des Death Wish à partir du deuxième épisode, etc.) ou Jean-Claude Van Damme (découvert par Golan dans un restaurant) popularisent les arts martiaux dans le monde occidental (les fameux films de ninjas blancs), envahissent le marché et obtiennent beaucoup de succès en salles et en vidéo.

Mais Golan-Globus ne sont pas que des pourvoyeurs de films musclés. Fortune faite, ils partent à l’assaut du cinéma d’auteur, où ils dépenseront sans compter pour pouvoir se payer les meilleurs cinéastes et quelques stars de l’époque. Andrei Konchalovsky signe trois films pour la Cannon, dont le formidable Runaway Train avec Jon Voight et Eric Roberts sur un sujet original d’Akira Kurosawa. Jerry Schatzberg, Robert Altman, Franco Zefirelli rejoignent l’écurie Cannon et leurs films sont sélectionnés dans les festivals (Love Streams, le dernier chef-d’œuvre de Cassavetes obtiendra l’Ours d’or à Berlin en 1984). Barfly de Barbet Schroeder est une réussite avec Mickey Rourke et Faye Dunaway. Charles Bukowski relate dans son roman à clef « Hollywood » la genèse et le tournage mouvementés du film dont il était à la fois le scénariste et le héros (interprété à l’écran par Rourke.) Golan produit aussi King Lear de Jean-Luc Godard en 1987, longtemps invisible à cause d’une bataille juridique entre les deux hommes. Autre film invisible, L’Ile au trésor de Raoul Ruiz avec une distribution vraiment farfelue (Martin Landau, Lou Castel, Anna Karina, Melvil Poupaud et Jean-François Stévenin croisent la chanteuse Sheila) dont le Lincoln Center est parvenu à dégoter une copie, je ne sais où, mais a quand même dû annuler la seconde projection. (J’ai vu ce film à la Cinémathèque française juste après sa présentation cannoise : sans doute une des seules projections de ce film en France et ailleurs. C’était le premier film que je voyais à la Cinémathèque, et le premier film de Ruiz aussi il me semble.)

Over the Top avec Sylvester Stallone, Les Maîtres de l’univers et Superman IV sont des déceptions financières qui entraînent la débâcle de la Cannon en 89. Golan fonde alors une nouvelle et éphémère société, 21st Century (il produit notamment une version gore du Fantôme de l’opéra avec Robert Englund), avant de retourner en Israël où il continue de produire et mettre en scène avec la cadence énergique qui le caractérise.

Le Lincoln Center a pu montrer des films que par manque de place nous n’avions pas projeté à Locarno, comme Massacre à la tronçonneuse 2 de Tobe Hooper. Sous contrat avec la Cannon, Hooper avait également signé pour Golan Lifeforce et L’invasion vient de Mars, deux films de science-fiction vraiment extravagants. Les vrais durs ne dansent pas de Norman Mailer est sans doute à redécouvrir. Castaway est un titre obscur de Nicolas Roeg avec Oliver Reed, parmi les films produits par la Cannon en Grande-Bretagne avec très peu de succès. Paiement Cash (52 Pick-Up) de John Frankenheimer est un film noir brutal d’après Elmore Leonard qui souffre dans mon souvenir d’une facture trop télévisuelle mais a la cote auprès des amateurs de polars. Manquent à l’appel les films de la Cannon produits en Italie (parce que là on touche à des choses vraiment absurdes, comme Hercule de Luigi Cozzi, un péplum fluo avec Lou Ferrigno.)

En revanche, les spectateurs plus courageux du Lincoln Center ont pu admirer sur grand écran The Apple (1980), comédie musicale et fantastique signée Golan lui-même, voulant profiter de la mode du disco (même si le film se déroule dans le futur) et rivaliser avec Phantom of the Paradise de De Palma, mais qui se révèle extrêmement douloureuse pour les yeux et les oreilles. Et Opération Thunderbolt (encore signé Golan, qui en tant que cinéaste toucha à tous les genres) sur l’histoire vraie du détournement d’un vol Air France sur Entebbe par de dangereux terroristes pro-palestiniens en 1976 joués par Klaus Kinski et Sybill Danning. Nous l’avons montré à Locarno où le film, malgré son manque de sérieux, a éveillé la colère de quelques spectateurs furieux devant tant de propagande sioniste outrancière.

Quand on évoque le parcours et la filmographie de Menahem Golan, difficile de ne pas penser à deux autres grands producteurs boulimiques, visionnaires, opportunistes et magouilleurs, obsédés par le commerce mais fascinés par l’art, avec une passion indiscutable pour le cinéma : le pingre Roger Corman et son exact contraire, le flamboyant Dino De Laurentiis, récemment décédé. Golan-Globus, c’était un peu De Laurentiis sans un dollar en poche, ou Roger Corman avec des grands cinéastes sous contrat.

Les interventions publiques de Menahem Golan à Locarno avaient été formidables (une leçon de cinéma transformée en monologue autobiographique haut en couleur, des prestations scéniques à la fois drôles, émouvantes et bigger than life lors de la remise du prix.) Nulle doute que Menahem, flanqué de son cousin Yoram a également régalé les spectateurs new yorkais d’anecdotes innombrables et hilarantes et d’histoires dont la véracité n’a encore été confirmée par aucun historien du cinéma. Tant mieux.

http://www.filmlinc.com/wrt/wrt.html

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