Olivier Père

The Plague Dogs de Martin Rosen

Voilà un film dont on ignorait l’existence avant sa distribution française il y a quelques mois, trente ans après sa réalisation ! The Plague Dogs, inédit de 1982 a en effet été exhumé de l’oubli et de l’anonymat (du moins en France, car il bénéficie d’une excellente réputation dans les pays anglo-saxons) par Splendor le 4 avril 2012, et il est désormais disponible en DVD grâce à la même société et Les Films du Paradoxe. The Plague Dogs de Martin Rosen est l’un des très rares films d’animation britanniques, et le Royaume-Uni ne peut pas s’enorgueillir d’une grande tradition dans ce domaine. Martin Rosen n’a signé que deux dessins animés, considérés comme des classiques et pas seulement par les exégètes du genre. La Folle Escapade (Watership Down, 1978) sur une communauté de lapins (pas encore vu) et The Plague Dogs, un film extraordinaire à tout points de vue. Il se distingue de l’anthropomorphisme des productions Disney en particulier et des films d’animation pour enfants en général. En effet il a beau mettre en scène deux toutous en fuite dans la lande anglaise, il est à déconseiller aux plus jeunes spectateurs et s’approche parfois du pur film d’horreur. On y retrouve une atmosphère dignes des plus violentes productions britanniques des années 70 et du début des années 80, cette forme d’hyperréalisme cauchemardesque pratiqué par Michael Reeves, Alan Clarke ou Pete Walker – mais aussi Sam Peckinpah (Les Chiens de paille) et Jerzy Skolimowski (Le Cri du sorcier) lors de leur incursion en terre anglaise, forme récemment réactivée par Ben Weathley et son Kill List. Que The Plague Dogs soit un film d’animation et que ses personnages soient des chiens ne font que renforcer l’étrangeté du projet. Deux toutous s’évadent d’un centre de vivisection où des expériences cruelles sont pratiquées sur des animaux. Le début du film décrit un univers concentrationnaire et il n’est pas difficile d’assimiler la violence faite aux animaux aux pires crimes contre l’humanité commis durant le sombre XXème siècle. Snitter (auquel John Hurt prête sa voix) a été trépané. Les dommages irréparables causés par l’opération ont altéré sa perception de la réalité, et la douleur s’accompagne de crises ou des visions objectives et subjectives se brouillent. Snitter est aussi affligé d’une blessure psychologique et se croit coupable de l’accident qui a coûté la vie à son ancien maître. En provoquant la mort accidentelle d’un chasseur (scène horrible digne d’un film d’horreur) Snitter aggrave sa névrose traumatique. Le compagnon de cette âme en peine, Rowf, a lui été victime de noyades à répétition dans un grand bassin et en a développé une phobie de l’eau. Au début du film on découvre avec eux les différentes salles du laboratoire où sont suppliciés plusieurs races d’animaux (singes, lapins, rats.) Ils s’enfuient en passant par l’incinérateur de cadavres, échappant de peu à la crémation (autre allusion directe à la Seconde Guerre mondiale.)

The Plague Dogs

The Plague Dogs

Une fois dans la nature, les deux compagnons font la douloureuse expérience de la survie en milieu hostile, préférant toutefois mourir libres que de retourner dans leur cage. Crevant de faim, ils s’attaquent à des troupeaux de moutons avec la complicité d’un renard, sont poursuivis par les éleveurs qui les soupçonnent d’être porteurs de la peste bubonique et aussi traqués par l’armée qui doit faire disparaître ces deux preuves vivantes afin que ne soient révélés à l’opinion publique les recherches secrètes et interdites du laboratoire.

The Plague Dogs est un film déchirant, très sombre et d’une infinie tristesse. La musique, les chansons, le murmure des voix, une animation simple, dépouillée et parfois crue soulignent une émotion qui ne concerne pas seulement, on l’aura compris, la condition animale. Rosen adopte des partis-pris de mise en scène et de narration qui diffèrent totalement de ceux de ses confrères et que nous n’avons jamais observés dans d’autres films d’animation. Par exemple on suit deux récits parallèles, la fuite de Snitter et Rowf et ses répercutions dans le monde des humains, perçues uniquement au travers de voix-off en contrepoint des images des deux chiens.

La fin du film est très lacrymale et même traumatisante pour des jeunes enfants (The Plague Dogs est vraiment un titre indispensable pour les amateurs de films d’horreur européens à la fois lyriques et glauques.) Elle fait référence à la légende arthurienne et à l’île d’Avalon, pays des morts que les deux amis rejoignent à la nage, finissant d’inscrire le film dans une tradition très anglo-saxonne, tant sur le plan esthétique que moral, avec son apologie de l’esprit de résistance, de sacrifice et de bravoure face à l’adversité et la dictature. The Plague Dogs est aussi – et surtout – un grand film politique.

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