Maestro Ennio Morricone

Si son trompettiste de père ne l'avait pas obligé à suivre ses pas, peut-être Ennio Morricone (1928-2020) serait-il devenu médecin puisque, prétend-il face à Giuseppe Tornatore, dont il mit en musique deux des films (Cinema Paradiso puis La légende du pianiste sur l'océan), c'est ce qu'il rêvait de faire quand il était petit. Pour échapper quand même au diktat paternel, tout en gagnant très jeune le pain de la famille dans les orchestres de dancing et de music-hall, Ennio étudie la composition au conservatoire de Rome sous l'égide d'un maître adoré, Goffredo Petrassi, dont le mépris affiché pour la musique de cinéma le hantera longtemps. C'est le premier des paradoxes "morriconiens" évoqués dans ce portrait jubilatoire, réalisé en étroite complicité avec le fringant nonagénaire peu avant sa mort : célébré par toutes les sommités du septième art mondial, il fut rarement content de lui-même. Celui dont les partitions sont entrées dans la mémoire collective avec les chefs-d'œuvre qu’elles ont portés, parmi quelque cinq cents films, affirme en outre qu’il "n’aime pas la mélodie". Expérimentateur de musique concrète inspiré par John Cage, il jure tous les dix ans d'abandonner les plateaux, avant d'accepter son destin ("Après les années 2000, je n'ai plus rien dit"). Mais le binoclard ombrageux qui cachait son grain de folie derrière un sérieux inflexible et un humour pince-sans-rire a puisé dans ses contradictions un art unique de décupler en musique le pouvoir des images. Composant comme on respire, parfois en parlant au téléphone, il a révolutionné la bande originale en retrouvant un ex-camarade d'école primaire nommé Sergio Leone. Dès Pour une poignée de dollars (1964), malgré ou grâce à leurs personnalités opposées, ils fondent l'un des duos créatifs les mieux accordés du cinéma.

Toutes les musiques 
Il était une fois dans l'Ouest, Il était une fois en Amérique, Le clan des Siciliens, La bataille d'Alger, Des oiseaux petits et grands, Les poings dans les poches, 1900, Les moissons du ciel, Mission… Derrière ces grands arbres de sa filmographie, Giuseppe Tornatore fait apparaître la foisonnante forêt musicale habitée toute sa vie par le compositeur. Si Ennio Morricone évoque avec une discrétion caractéristique sa vie personnelle, et notamment son épouse Maria, qui fut toujours sa première auditrice, ce bourreau de travail d'une exigence pointilleuse y joue les guides avec une passion et un plaisir communicatifs. De l'ineffable canzone italienne des années 1960, à laquelle il imprime sa patte, à ses hommages cachés à ses maîtres, de Bach à Stravinski, en passant par ses talents bruitistes, ce documentaire-fleuve conçu "comme une symphonie" explore toutes les facettes d’une œuvre phénoménale. Fourmillant d'archives et de témoins savoureux issus du Who's Who du cinéma (Marco Bellocchio, Clint Eastwood, Roland Joffé, Terrence Malick, Liliana Cavani, Bernardo Bertolucci, Quentin Tarantino…) et de la scène (Joan Baez, Bruce Springsteen, Pat Metheny, Gino Paoli…), cet hommage se déguste comme un blockbuster, pimenté de malice à l'italienne.