Thomas Mann et son double

Lorsqu'il songe pour la première fois à écrire un roman sur l'imposture, Thomas Mann a 30 ans. Mais le premier volume des Confessions du chevalier d'industrie Felix Krull ne paraîtra qu'un an avant sa mort, en 1954. Aucun des personnages du grand écrivain allemand, prix Nobel de littérature en 1929, ne l'aura accompagné aussi longtemps que le jeune escroc sympathique et charmeur. Brouillant, grâce aux métamorphoses de l'acteur Sebastian Schneider, les frontières entre la vie vagabonde de Thomas Mann des deux côtés de l'Atlantique et celle de son alter ego de l'Allemagne à Paris puis Lisbonne, André Schäfer suit leurs traces à travers le temps. Car l'écrivain ne cesse de travailler sur le livre tout au long de ses années d'exil (de 1933 à 1945) aux États-Unis, qui l'accueillent après l'arrivée de Hitler au pouvoir, et qu'il fuira sous l'ère McCarthy pour retrouver l'Europe. Son imposture à lui, dont la conscience douloureuse ne l'abandonne jamais, est celle d'une homosexualité qu'il se refuse à assumer, même si elle apparaît de façon latente dans une part de son œuvre. 
 
Rencontre inédite
"Pacific Palisades, jeudi 01/12/49. Journée de tourment, de confusion et de désarroi […] Chagrin sexuel par intermittence, souffrance alimentée par des images en chemin et désir aussi profond que douloureux, sachant que la réalité n’en veut pas…" Les journaux intimes et parfois les lettres de l'écrivain, dans lesquels puise aussi avec élégance ce documentaire hybride, révèlent ainsi un homme peu sûr de lui, souvent dépressif, qui a passé sa vie à réprimer ses désirs. Mais il s'en est tenu à son choix, maintenant sa vie familiale de grand bourgeois humaniste et de géant mondial des lettres aux côtés de son épouse Katia et de leurs six enfants. Une rencontre inédite, par l'entremise de Felix Krull, avec celui dont on commémore le 6 juin le 150e anniversaire de la naissance, et dont cette année 2025 marque aussi le 70e anniversaire de la mort.