Olivier Père

George A. Romero (1940-2017)

Avec John Carpenter, David Cronenberg (première période), Tobe Hooper, Dario Argento et quelques autres George A. Romero (photo en tête de texte sur le tournage de Day of the Dead) fut un maître de l’horreur moderne, dont l’entrée dans le genre – La Nuit des morts-vivants en 1968 – fut un véritable coup de tonnerre. Malgré la gloire que lui a apportée ce premier long métrage, phénomène des séances de minuit bientôt élevé au rang de classique, Romero est demeuré toute sa vie un indépendant, voire un marginal. Mis à l’écart des studios comme de la respectabilité critique, il a continué à exprimer son talent et son regard acerbe sur le monde contemporain et la société américaine dans des films modestes, mais intègres et réussis. Né en 1940 à New York, George A. Romero s’installe très tôt à Pittsburgh, Pennsylvanie, une ville qu’il ne quittera plus et qui deviendra le symbole de son indépendance vis-à-vis des deux pôles de la production cinématographique aux Etats-Unis, New York et surtout Los Angeles. Fidèle à ses origines populaires, à sa ville, à ses idéaux de jeunesse, Romero resta un cinéaste irréductible, insensible aux sirènes de la gloire, un des seuls de sa génération à mériter l’appellation de franc-tireur. Son intégrité, ses convictions politiques et son mode de vie l’ont sans doute marginalisé sur le plan professionnel, mais elles lui ont permis de mener à bien une véritable œuvre, à contre-courant de la pensée et de l’industrie dominantes. Romero n’est donc pas le réalisateur d’un seul film, La Nuit des morts-vivants, et sa carrière est jalonnée de réussites. On ne peut non plus réduire sa filmographie à la seule saga des zombies (six films entre 1968 et 2009) puisque Romero s’est illustré avec talent dans d’autres courant du fantastique, avec quelques grands films secrets, comme Incident de parcours en 1988.

La preuve en neuf jalons importants dans l’œuvre de George A. Romero, pour rendre hommage à l’une des voix les plus originales du cinéma indépendant américain, qui vient de s’éteindre.

La Nuit des morts-vivants sera diffusé lundi 24 juillet à 23h45 sur ARTE. Le film sera également disponible en télévision de rattrapage pendant sept jours sur ARTE+7.

 

Martin (1976)

Après le retentissement mondial de La Nuit des morts-vivants, Romero peine à enchaîner avec d’autres succès. The Crazies et Season of the Witch, avec lesquels il récidive dans le fantastique politique, connaissent des diffusions limitées et souffrent de leurs budgets modestes, qui leur confèrent une facture proche de l’amateurisme. Martin propose une vision très originale du vampirisme, traité comme une maladie mentale. Martin, un jeune homme de dix-sept ans est obsédé par le sang : il viole et tue des femmes et des hommes dont il boit le sang en leur entaillant les membres au rasoir. Son oncle très croyant qui l’héberge est persuadé qu’il est un vampire. Martin est-il un véritable vampire, ou bien seulement un marginal en proie à la folie ? George A. Romero signe avec Martin un film d’horreur social. Les reliquats tenaces des superstitions religieuses devant certains comportements déviants rencontrent l’antipsychiatrie et la sociologie dans la grisaille des banlieues américaines. Un film dépressif, punk, qui va acquérir une belle réputation auprès d’une petite chapelle de cinéphiles.

 

Zombie (Dawn of the Dead, 1978)

Les morts reviennent à la vie et dévorent les vivants. Un groupe de survivants, trois hommes et une femme, fuit la ville en hélicoptère et se réfugie dans un centre commercial désaffecté, bientôt cerné par les zombies. Second volet de la saga de George A. Romero consacrée aux morts-vivants, Zombie est un titre essentiel du nouveau cinéma fantastique des années 70, et un chef-d’œuvre indiscutable du cinéma « gore ». Ici l’horreur se pare des atours du film d’action et du western urbain. Romero conserve l’idée de huis clos mais la couleur succède au noir et blanc, un vaste espace à une simple maison isolée, et Zombie est cent fois plus spectaculaire que La Nuit des morts-vivants. Dans les deux films, le personnage central est un homme noir. Romero continue d’inscrire la question raciale au centre de ses films. Au thème du racisme il ajoute ceux du consumérisme et de l’aliénation. Romero met en scène une succession d’attaques et de tueries à la violence nihiliste, digne de Sam Peckinpah, avec des débordements sanguinolents orchestrés par le maquilleur fou Tom Savini. La participation de Dario Argento à la production donnera naissance à une version européenne plus nerveuse et bénéficiant de la musique angoissante et frénétique du groupe rock Goblin, déjà à l’œuvre sur Suspiria. Le film ne sortira en France qu’en 1983, après avoir été totalement interdit par la censure. L’édition VHS (chez René Château, dans la fameuse collection « les films que vous ne verrez jamais à la télévision ») connaîtra un grand succès et hantera longtemps les vidéoclubs. L’ambiance apocalyptique de Zombie, avec ses hordes sinistres de zombies déboussolés qui reviennent hanter un ancien lieu de vie aura un impact considérable sur la culture populaire. Et traumatisera plusieurs générations de spectateurs.

 

Knightriders (1981)

Après Zombie, Romero réalise le beau et étrange Knightriders, film maudit de sa carrière. Délaissant pour la première – et dernière – fois le fantastique, Romero imagine les pérégrinations d’une troupe itinérante de motards qui vit selon le code de chevalerie et organise des spectacles inspirés des récits de la Table ronde. Ce qui ne constitue pour certains qu’une forme dévoyée et dérisoire de « show business » représente au contraire pour le directeur de la troupe un véritable art de vivre. Réflexion sur les mouvements communautaires des années 70, très représentatif des idées de Romero sur l’utopie, le rêve et l’indépendance, Knightriders essuie un rejet cinglant de la critique et du public. Il ne sera jamais distribué en France mais on peut maintenant se le procurer dans une édition blu-ray américaine. « Le cinéma fantastique n’est pas mon seul centre d’intérêt, et je ne me considère pas comme un cinéaste de genre. Mais chaque fois que le téléphone a sonné, c’était pour me demander de réaliser un film d’horreur. J’ai fini par me résigner. » (George A. Romero)

 

Creepshow (1982)

Après l’échec de Knightriders, Romero s’attele à un projet plus commercial, avec la complicité de Stephen King dont le nom est à l’époque synonyme de succès au box-office. Dépourvu des implications politiques et libertaires des meilleurs films de Romero, Creepshow est un hommage aux E. C. Comics, ces bandes dessinées horrifiques des années 50 et 60 qui ont construit l’imaginaire de plusieurs générations de garçons américains passionnés de fantastique et de science-fiction, parmi lesquels Stephen King (scénariste et acteur dans Creepshow), Tom Savini (spécialiste des effets spéciaux sanglants) et Romero lui-même. Le cinéaste transpose à l’écran de façon convaincante les couleurs criardes, les situations macabres et les personnages grotesques caractéristiques des E. C. Comics, dans cinq sketches reliés par des intermèdes animés. Un mort-vivant revient éliminer les membres de sa famille et réclamer son gâteau d’anniversaire (« La Fête des pères »), un paysan solitaire se transforme en monstre végétal au contact d’un météore (« La Mort de Jordy Verrill », inspiré de La Couleur tombée du ciel de H.P. Lovecraft), un mari jaloux filme la noyade de sa femme et de son amant (« Un truc pour se marrer »), un professeur d’université se débarrasse de son épouse grâce à un monstre oublié dans une caisse (« La Caisse »), un vieillard obsédé par la propreté lutte contre une invasion de cafards (« ça grouille de partout »). Comme souvent, le dernier sketch est le meilleur, portrait d’un misanthrope reclus et phobique (on pense à Howard Hughes). Ces portraits grotesques jettent un regard corrosif sur l’humanité (tous les personnages sont moralement et physiquement hideux, rongés de vices : misogynie, cupidité, alcoolisme, sadisme, …), fidèles aux B.D. originales qui flattaient leur lectorat adolescent par une description vengeresse du monde des adultes. Creepshow est un titre à part dans la carrière de Romero, un peu occulté par les autres films majeurs du cinéaste qui privilégient une approche sérieuse et réaliste de l’horreur. Mais c’est un excellent souvenir de jeunesse, une petite madeleine pour les amateurs de fantastique qui fréquentaient les vidéoclubs dans les années 80.

 

Le Jour des morts-vivants (Day of the Dead, 1985)

Troisième volet, après La Nuit des morts-vivants et Zombie, de la saga horrifique et politique de George A. Romero. Les fans des scènes sanglantes qui firent la réputation de ce cinéaste trouvèrent au moment de sa sortie le film trop bavard et sérieux. Ils avaient tort. Le film est admirable, anxiogène et tendu. Il baigne dans une atmosphère étouffante. Et les moments d’horreur supportent la comparaison avec ceux des deux précédents films. Romero, grâce à qui le gore pense, filme une nouvelle fois un groupe assiégé : à la maison de La Nuit… et au centre commercial de Zombie succède un laboratoire militaire souterrain, propice à une charge contre l’armée et la science. Mais surtout, Romero inverse les données de ses films précédents : le futur de l’humanité est désormais dans le camp des zombies, et l’animalité dans celui des derniers vivants. Un postulat passionnant qui fait de Day of the Dead, avec La Mouche de Cronenberg, un des derniers grand film d’horreur moderne, réalisé à une époque – le milieu des années 80 – où le genre était rongé par la parodie.

 

Incidents de parcours (Monkey Shines, 1988)

Un des films les moins connus de Romero, qui compte pourtant parmi ses meilleurs. Incidents de parcours prolonge la réflexion sur l’humanité et l’animalité de Day of the Dead. Un jeune scientifique doué qui voit son brillant avenir brisé par un accident qui le laisse paraplégique. Il sombre alors dans la dépression et fait une tentative de suicide. Un ami lui offre un singe capucin prénommé Ella, pour l’aider et lui tenir compagnie dans sa vie quotidienne. Avec ce singe, le jeune homme reprend goût à la vie, mais l’animal domestique développe bientôt un comportement agressif envers tous ceux qui s’approchent de lui. Ce thriller est riche en émotion fortes et se révèle le film le plus hitchcockien de Romero, avec plusieurs scènes de suspens et d’angoisse magistrales. Comme à son habitude Romero ne se contente pas de faire frissonner le spectateur, et l’invite à réfléchir sur les sentiments de dépendance et de possessivité, et sur l’intelligence animale. Cette relation d’amour et de mort inter-espèces délivre un malaise profond et durable, et se termine sur une note bouleversante.

 

Bruiser (2000)

George A. Romero est passé à côté des années 90. Après un segment d’un médiocre film à sketches italo-américain coréalisé avec Dario Argento (Deux Yeux Maléfiques, 1990), et l’adaptation anonyme d’un roman de Stephen King (La Part des ténèbres, 1993), George A. Romero est réduit au silence par les studios qui refusent de lui confier les projets fantastiques auxquels il pourrait légitimement aspirer : La Momie, ou Resident Evil, d’après un jeu vidéo lui-même inspiré par La Nuit des morts-vivants. Les décideurs n’entendent pas prendre le moindre risque avec ce cinéaste à forte tête et volontairement en marge du cinéma dominant. En 2000, après dix ans d’inactivité, de chômage et de projets avortés, Romero parvient à mettre en scène Bruiser, un film à tout petit budget lointainement inspiré d’un conte d’Hoffmann et de « La Métamorphose » de Kafka. Il s’agit avant tout de rester en vie professionnellement, en attendant la production du quatrième volet de sa saga des morts-vivants, longtemps retardée. Le scénario de Bruiser témoigne des convictions politiques de Romero, et assouvit son goût de la satire. Un employé de bureau timoré se réveille un matin le visage effacé, ses traits remplacés par un masque lisse et crayeux. Il décide de prendre sa revanche sur la société, et plus particulièrement sa compagne infidèle et son patron tyrannique. Hélas, Bruiser fait peine à voir. C’est le nadir de la carrière de Romero. Acteur principal médiocre, direction artistique hideuse, … Le film transpire l’absence de conviction et d’inspiration. On devine ce qui a pu intéresser Romero dans cette histoire de vengeance sociale. Mais le cinéaste n’en fait rien, par manque de moyens sans doute mais aussi par fatigue. Le film sortira directement en vidéo aux États-Unis et connaîtra en France une distribution technique, deux ans après sa réalisation. Embarrassés par de film indigne de Romero, les admirateurs du cinéaste se consoleront avec l’excellent Land of the Dead, retour inespéré aux affaires qui démontrera que le dernier grand maître du cinéma d’horreur américain n’avait pas encore dit son dernier mot, ni perdu son énergie et son talent derrière la caméra.

 

Le Territoire des morts (Land of the Dead, 2005)

Un film digne des précédents titres de la saga des zombies, intelligent, efficace et sans compromis. Après une traversée du désert, des films à moitié réussis ou victimes des contingences du marché, Romero revient en pleine forme avec un brûlot horrifique, nerveux et stylisé comme une bonne série B postclassique des années 80, presque sans effets numériques mais ancré dans le contexte sociopolitique des Etats-Unis de l’après 11 septembre 2001 et de la guerre en Irak. Land of the Dead, formellement et idéologiquement, se situe aux antipodes de la mode du cinéma fantastique mainstream. Impossible de ne pas penser, devant le spectacle d’un véhicule blindé détruisant tout sur son passage, et des soldats de fortune mitraillant des zombies par écrans de contrôle interposés, aux images des guerres retransmises par les journaux télévisés. Les allusions au problème des sans-abris, au terrorisme, au fossé qui se creuse entre une élite coupée du monde et les couches les plus démunies de la société font de Land of the Dead un film toujours d’actualité plus de dix ans après sa réalisation, et même prophétique à bien des égards – Dennis Hopper y incarne un odieux milliardaire tout-puissant qui fait furieusement penser à Donald Trump.

 

Survival of the Dead (2009)

Réalisé après Chronique des morts-vivants (Diary of the Dead, 2007) qui s’inspirait de la mode du found-footage lancée par Le Projet Blair Witch, le dernier opus de Romero est enthousiasmant et spectaculaire. Survival of the Dead renoue avec la série B classique. Cette allégorie sur le bellicisme humain obéit aux codes du western, venant confirmer l’hypothèse selon laquelle Romero est un cinéaste hawksien. Celui qui aimait transformer ses films d’horreur en satire du consumérisme ou de la politique américaine semble ici s’intéresser davantage à l’action pure. Cinéphile, mais aussi héritier de la culture pop, Romero n’oublie pas l’influence de la bande dessinée et tempère le désespoir de son propos par beaucoup d’humour macabre, notamment dans les différentes manières de mettre un zombie hors d’état de nuire, et l’inventivité des nombreuses morts violentes qui parsèment le récit. A l’univers du western vient s’ajouter une touche d’épouvante gothique, avec les visions d’une magnifique jeune morte vivante chevauchant un étalon noir.

Zombie de George A. Romero

Zombie de George A. Romero

 

 

 

 

 

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