Olivier Père

La Règle du jeu de Jean Renoir

Le cycle Jean Renoir se poursuit sur ARTE avec la diffusion de La Règle du jeu (1939) lundi 1er mai à 20h55. Le film sera également disponible en télévision de rattrapage pendant sept jours sur ARTE+7.

Jean Renoir tourna La Règle du jeu entre la conférence de Munich et le début de la guerre avec la volonté de rendre compte de l’état d’esprit de la bourgeoisie et de l’aristocratie. « Il m’a semblé qu’une façon d’interpréter cet état d’esprit du monde à ce moment était précisément de ne pas parler de la situation et raconter une histoire légère, et j’ai été chercher mon inspiration dans Beaumarchais, dans Marivaux, dans les auteurs classiques, dans la comédie. » Même s’il participe à un courant pessimiste en vogue dans le cinéma français de l’époque La Règle du jeu fut longtemps un film maudit, couvert d’insultes et mutilé. Par ses ruptures de ton, sa structure complexe et surtout l’hétérogénéité du jeu et de la distribution des comédiens (Marcel Dalio en aristocrate, il fallait oser), ce chef-d’œuvre à la fois grave et léger provoqua le rejet de la critique et du public. Il faudra attendre les années 50 pour que les cinéphiles élisent La Règle du jeu parmi les plus grands films de l’histoire du cinéma. Renoir utilise les ressorts du vaudeville pour dresser le portrait d’une société moribonde, filme la sarabande du désir qui anime ses personnages, représentants des différentes classes sociales réunis dans un château de Sologne. Les « petites catastrophes », trahisons et cocuages aboutiront à la mort d’un des protagonistes, étranger à cet univers pourrissant. Cet accident mondain presque dérisoire en préfigure un autre, à plus large échelle : l’écroulement de la société telle qu’elle existait avant la Seconde Guerre mondiale.

La restauration de La Règle du jeu de Jean Renoir, mutilé à sa sortie en 1939, et dont le négatif original a été détruit en 1942, fut reconstituée par Les Grands Films Classiques après plusieurs années de travaux avec l’approbation de Jean Renoir. Cette version intégrale (vingt-cinq minutes supplémentaires) effectuée à partir de différents éléments (contretype réduit à 1h20, copie d’exploitation, rushes) est sortie sur les écrans en 1965 permettant sa redécouverte par toute une génération. C’est désormais ce montage qui circule, et qui sera diffusé sur ARTE.

 

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3 commentaires

  1. Bertrand marchal dit :

    Ce film que je viens de revoir est étonnant. Il est traversé par une exacerbation des sens, des émotions, des sentiments qui s’expriment dans une palette de jeux, de mouvements, de confrontations, de dimensions, de textures, de dynamiques si variée qu’on en reste ébranlé, en plein désarroi. C’est une puissance de création formidable qui arrive à rendre le spectateur aussi perdu que les protagonistes du film, à laisser infuser en lui la même amertume qui naît de l’incertitude, des désirs vagues, au fond de l’incomplétude essentielle à l’humain.

  2. Olivier Père dit :

    oui c’est tout simplement un des meilleurs films jamais réalisés, en raison de l’étude de la richesse et de la complexité humaines que vous évoquez

  3. Bertrand Marchal dit :

    Relisant ce que j’ai écrit, il est évident que je suis resté sous le coup de la fin, où les bouffonneries du vaudeville se dissolvent dans un égarement de tous les personnages, une incertitude générale qui confine à l’angoisse. Une fin géniale dans son audace et sa complexité générale.
    Tout ce qui précède le dernier mouvement du film est un jeu très habile de différents tableaux plus convenus sur le plan de l’intrigue, ce qui est voulu et assumé par Renoir bien sûr, mais toujours rythmé par un ton personnel, moderne, celui de la rupture, qu’incarne très bien la scène brutale de la chasse (j’ai mis ma main devant l’écran, j’avoue!), le personnage de l’aviateur, moins apprêté que les autres, ainsi surtout que le personnage joué par Renoir lui-même, qui, pourrait-on dire met en scène l’intrigue en dehors du film aussi bien qu’à l’intérieur! Son jeu est réjouissant, avec cette ombre tragique presque blasphématoire dans le contexte de la comédie sociale, ce qui a forcément déplu au public de l’époque et doit être la cause des remontages successifs. « Je crache dans l’eau, c’est tout ce que je sais faire » – une réplique mémorable!

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