Olivier Père

Sur le tournage de La Mort de Louis XIV de Albert Serra

Mardi 13 octobre 2015. C’est au Château de Hautefort, en Dordogne, orgueilleux édifice à l’architecture classique dont la construction débuta au XVIème siècle que Albert Serra et son équipe se sont installés pour tourner La Mort de Louis XIV, son quatrième long métrage officiel de cinéma. Sa filmographie générale s’est allongée puisque Serra a ces dernières années multiplié les créations filmées dans le cadre d’expositions d’art moderne et contemporain, notamment la dOCUMENTA de Kassel et la Biennale de Venise, avec des œuvres fleuve à l’ambition inédite, et au résultat stupéfiant.

Ce nouveau film est à la fois un prolongement et une rupture par rapport à ses œuvres précédentes. Serra réaffirme son goût pour les figures littéraires, bibliques, mythologiques et désormais historiques et après Fassbinder, Goethe et Hitler dans Les Trois Petits Cochons (film installation de 101 heures) c’est au tour de Louis XIV de revivre, pour un instant plus bref, devant la caméra d’Albert Serra. Il n’existe aucune intention iconoclaste chez le cinéaste catalan, qui souhaite ici « s’intéresser à la représentation permanente et à son contrepoint intime, devant l’imminence de la mort. »

Dans La Mort de Louis XIV, qu’il qualifie « d’hommage à la culture française », Serra poursuit une démarche cinématographique à la fois intransigeante et pleine de fantaisie, adepte d’une liberté créatrice alliée à une profonde intelligence de la mise en scène. Chaque film est un geste chargé de sens, qui invite autant à la contemplation qu’à la réflexion, au plaisir des yeux et à celui de l’esprit.

Albert Serra sur le tournage de La Mort de Louis XIV  © ARTE France Cinéma

Albert Serra sur le tournage de La Mort de Louis XIV, avec Jacques Henric au second plan © ARTE France Cinéma

Serra a préféré suivre avec rigueur les Mémoires de Saint-Simon pour retracer la lente et terrible agonie du roi, rongé par la gangrène, plutôt que de laisser flâner son imagination.

Sur le plateau Albert Serra est à la fois calme et concentré, attentif au moindre détail, arpentant méthodiquement l’espace restreint qui va servir de cadre à la quasi intégralité de l’action de son film : la chambre du roi Soleil, reconstituée avec beaucoup de soin dans une pièce du château entièrement nue, ravagée par un incendie il y a quelques années, ce qui inspire à Albert des commentaires ironiques : tourner dans un monument historique où ses décorateurs ont dû entièrement construire un décor !

C’est la première fois que Albert Serra, adepte des tournages avec des acteurs non professionnels, qu’il choisit parmi ses amis, des connaissances ou des inconnus, décide de travailler avec de « vrais » comédiens. Jean-Pierre Léaud incarne le Roi Soleil agonisant, au centre de tout le film, dans son premier rôle principal depuis fort longtemps (Le Pornographe de Bertrand Bonello en 2001). Accompagné de son épouse et de son assistant, Léaud règne sur le tournage, habitant son personnage bien au-delà des prises.

Albert Serra sur le tournage de La Mort de Louis XIV  © ARTE France Cinéma

Albert Serra en discussion avec Jean-Pierre Léaud sur le tournage de La Mort de Louis XIV, sous le regard de Marc Susini © ARTE France Cinéma

Le roi Léaud est entouré d’excellents acteurs parmi lesquels Patrick d’Assumçao (remarqué dans L’Inconnu du lac, absent du plateau le jour de notre visite) dans le rôle du fidèle médecin Fagon, Bernard Belin, ex pensionnaire de la Comédie-Française (dans le rôle de Mareschal chirurgien du roi et Marc Susini (le premier valet de chambre Blouin). Serra a aussi invité des amis à compléter la distribution, comme les écrivains Jean Henric et Olivier Cadiot.

Albert Serra sur le tournage de La Mort de Louis XIV  © ARTE France Cinéma

Jean-Pierre Léaud se repose entre deux prises, aux côtés de son épouse Brigitte Duvivier © ARTE France Cinéma

La rencontre entre Albert Serra et Jean-Pierre Léaud, empreinte d’estime réciproque, implique une nouvelle approche de la direction d’acteur pour le cinéaste, habitué à souffler (ou hurler) les répliques pendant les prises à ses compagnons catalans loin de posséder l’expérience de l’acteur de Truffaut, Godard, Eustache, Garrel et tant d’autres. Plein d’attention, Serra dirige Léaud avec un mélange de douceur et d’autorité. Son regard n’est pas chargé de dévotion vis-à-vis de l’acteur de la Nouvelle Vague, mais d’amour pour l’homme, ce qui est beaucoup mieux.

Nous quittons la chambre du roi au moment où Albert Serra règle la préparation d’une scène de concert, avec un groupe de musiciens en costumes qui vont jouer en direct avec des instruments d’époque, violons, flûtes et clavecin. Une scène que le cinéaste, habitué à rassembler des dizaines heures de rushes numériques, et peu enclin au spectaculaire, ne retiendra pas au montage.

Albert Serra sur le tournage de La Mort de Louis XIV  © ARTE France Cinéma

Albert Serra prépare une scène de concert sur le tournage de La Mort de Louis XIV © ARTE France Cinéma

 

La Mort de Louis XIV sera présenté en Séance Spéciale lors du Festival de Cannes. Nous y reviendrons très bientôt. Quant à Jean-Pierre Léaud, le festival lui décernera la Palme d’or d’honneur (après Agnès Varda et Bernardo Bertolucci). Une double consécration pour l’acteur, icône du cinéma moderne européen, qui fut révélé à Cannes avec Les Quatre Cents Coups de François Truffaut en 1959, à l’âge de 14 ans : un retour sur le devant de la scène avec un grand rôle, et une récompense méritée pour un parcours extraordinaire et aventureux.

 

 

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