Olivier Père

Cycle Louis Malle sur ARTE (première partie)

Cinéaste solitaire, voyageur et inclassable, disciple de Robert Bresson, Louis Malle (1932-1995) est l’auteur d’une filmographie aux multiples facettes, entre documentaire et fiction, productions françaises ou américaines (My Dinner with Andre, Vanya 42ème rue), adaptations littéraires (Vivan Denon, Queneau, Poe, Drieu La Rochelle, Darien) et projets autobiographiques (Le Souffle au cœur, Au revoir les enfants), films avec des grandes vedettes et essais expérimentaux. A l’âge de 24 ans, Louis Malle remporte la Palme d’or du Festival de Cannes pour Le Monde du silence (1956), documentaire co-réalisé avec Jacques-Yves Cousteau. Son premier film de fiction, Ascenseur pour l’échafaud (1958), est un coup de maître. Trois films coexistent à l’intérieur de cet Ascenseur pour l’échafaud adapté d’un roman policier choisi sans grande préméditation par Malle, sur les conseils de son ami Alain Cavalier qui l’avait découvert à l’occasion d’un voyage en train. Le premier concerne le personnage de Julien Tavernier (Maurice Ronet) ancien officier parachutiste d’Indochine et d’Algérie qui assassine son patron Simon Carala parce qu’il est l’amant de sa femme, mais aussi, on le devine, parce que cet industriel véreux le dégoûte. Leur brève conversation avant le meurtre laisse entendre que Carala est un marchand d’armes et que Tavernier, sorte de guerrier déchu, méprise la vie civile et éprouve de la nostalgie pour son expérience militaire. La figure de soldat romantique et désabusé ayant participé aux défaites des guerres coloniales sied parfaitement à Ronet, et on devine que la caractérisation de Tavernier est un apport direct de Roger Nimier, coscénariste et dialoguiste du film, écrivain de droite chef de file du mouvement des hussards et partisan de l’Algérie française (comme Ronet, mais à la différence de Malle). La première partie du film qui montre la préparation, minutieuse et silencieuse, puis l’exécution du crime presque parfait par Tavernier juste avant la fermeture des bureaux, est la meilleure. La précision sèche et géométrique de la mise en scène de Malle évoque le style austère et épuré de Robert Bresson, influence majeure du jeune cinéaste à ses débuts.

Un autre film à l’intérieur du film, beaucoup plus conventionnel, concerne la fugue à bord d’une voiture volée (celle de Tavernier, justement) d’un couple de jeunes gens – une employée de magasin et un blouson noir – qui se terminera en tuerie et en tentative ratée de suicide. On y découvre une vision sociologique d’une certaine jeunesse perdue, privée de repères moraux dans la France de l’après-guerre. C’est la partie la plus datée du film, dans la lignée de Clouzot, Autant-Lara ou Carné lorsqu’ils se penchaient sans beaucoup d’indulgence sur les nouvelles générations.

Enfin, l’histoire a retenu Ascenseur pour l’échafaud en grande partie grâce à la contribution de Miles Davis, qui improvisa la musique du film devant les images qu’on lui projetait. La trompette du génial jazzman accompagne la déambulation nocturne de Jeanne Moreau à la recherche de son amant, perdue dans un Paris pluvieux. Cette errance urbaine qui enregistre sans artifice le visage défait de la jeune femme marque un tournant dans le cinéma français. Le tournage de ces séquences fut rendu possible par l’utilisation de la nouvelle pellicule Kodak Tri-X qui permettait des prises de vues sans apport de lumière. Le travail de Henri Decae, directeur de la photographie de Melville et de Chabrol (Le Beau Serge, sorti en 1958 comme Ascenseur pour l’échafaud), qui signera les images des Quatre Cents Coups l’année suivante, anticipe celui de Raoul Coutard sur les premiers films de Godard. Un progrès technique révolutionne ainsi l’écriture cinématographique, et signe du même coup l’acte de naissance de Jeanne Moreau sur un grand écran, alors que l’actrice avait déjà près de vingt films derrière elle. Jeanne Moreau, filmée (amoureusement) comme aucune autre femme avant elle, fait entrer Ascenseur pour l’échafaud dans la modernité, et nombreux seront les spectateurs et cinéastes – Antonioni le premier – à s’en rendre compte.

Réalisé en 1967, Le Voleur est la libre adaptation du livre de Georges Darien, écrivain anarchiste dont l’œuvre se place sous le signe de la révolte et de l’écœurement. Le film brosse le portrait d’un homme qui, au début des années 1890, est devenu voleur par désillusion, dégoûté par l’hypocrisie de la société bourgeoise dont il est issu. Le film peint également le tableau politique de la France de la fin du XIXème siècle, période où l’anarchisme se répand. Le Voleur est l’un des plus beaux films de Louis Malle, et l’un des plus personnels. Le cinéaste s’identifie au personnage de Randal avec lequel il partage la même classe sociale, le même désir de transgression contre l’ordre établi et les bonnes moeurs. Au-delà des destinées individuelles des protagonistes de son film, libertaires ou réactionnaires, malhonnêtes ou conformistes, Malle propose une réflexion sur le pouvoir de l’argent. D’une sobriété et d’une gravité exceptionnelles, très loin de la décontraction qu’il pouvait exprimer dans ses grandes réussites des années 60 signées Godard ou Broca, Jean-Paul Belmondo offre dans Le Voleur une interprétation digne d’éloges.

L’un de ses films les plus importants, Lacombe Lucien (1974), portrait d’un jeune collabo opportuniste, provoque une vive controverse en raison de son questionnement de l’engagement durant l’Occupation allemande. Malle a écrit le film avec l’écrivain Patrick Modiano, futur prix Nobel de Littérature. Comme Malle, qui s’inspire de ses impressions d’enfance, Modiano est obsédé, en raison de sa biographie familiale, par la période de l’Occupation, et s’attache dans plusieurs de ses romans à dépeindre la vie d’individus ordinaires confrontés au tragique de l’histoire et agissant de manière aléatoire ou opaque. Lacombe Lucien est l’histoire d’un garçon de la campagne inculte et violent qui, faute de pouvoir devenir maquisard parce qu’il est trop jeune, rejoint la Gestapo française. Les attaques pleuvent de toutes parts. La droite reproche à Malle de dynamiter le mythe gaullien de la France résistante et héroïque, à l’instar du Chagrin et la Pitié de Marcel Ophuls sorti trois ans plus tôt. La critique de gauche, représentée par Les Cahiers du cinéma, condamne le film en raison de son déni d’analyse politique et idéologique. Malle ne porte jamais le moindre jugement moral sur ses personnages, à commencer par les moins fréquentable tels Lacombe Lucien, que le cinéaste refuse de condamner. Il ne cherche jamais à expliquer les décisions ou le comportement du jeune homme, ni à inviter le spectateur à la moindre empathie envers lui. Les polémiques autour de Lacombe Lucien encouragent Louis Malle de quitter la France et poursuivre pendant une dizaine d’années sa carrière aux Etats-Unis, où ses films ont toujours été plus admirés que dans son propre pays.

 

Cycle Louis Malle, première partie

Lacombe Lucien est diffusé sur ARTE lundi 12 août à 20h55.

Ascenseur pour l’échafaud (1958), Le Voleur (1967) et Lacombe Lucien seront disponibles gratuitement sur ARTE.tv pendant trois mois à partir du 12 août 2024.

 

 

Cycle Louis Malle, deuxième partie

Vanya, 42ème rue (1994) sera diffusé sur ARTE le mercredi 16 septembre, puis disponible gratuitement pendant six mois sur ARTE.tv à partir de cette date.

Les Amants (1958), Zazie dans le métro (1960), Le Feu follet (1963), Le Souffle au cœur (1971), My Dinner with Andre (1981) et Au revoir les enfants (1987) seront disponibles gratuitement sur ARTE.tv pendant trois mois à partir du 16 septembre 2024.

 

 

 

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3 commentaires

  1. Snoopy18 dit :

    Merci Olivier pour cet incontournable cycle Louis Malle.
    Impatient de découvrir MY DINNER WITH ANDRE que je ne connais pas.
    Comment avez vous jugé ce film?
    Pour ATLANTIC CITY, dont je garde un très bon souvenir, je suppose que les droits avec Paramount ont du achopper sur la diffusion en ligne.

  2. Olivier Père dit :

    Merci Snoopy18. My Dinner with Andre est un film assez exceptionnel par son partis-pris – le film se résume à la conversation entre deux amis dans un restaurant. Il annonce le dernier et beau film de Malle, Vanya 42ème rue, qui est lui aussi concentré dans un lieu unique – un théâtre pendant des répétition et on y retrouve les deux acteurs Wallace Shawn et Andre Gregory. My Dinner with Andre est l’objet d’un culte chez les cinéphiles américains, comme certains films de Truffaut, Rohmer ou Godard, alors que sa notoriété est restée très confidentielle en France, avant que Malavida ne le ressorte en salles l’année dernière.
    Quant à Atlantic City, il a été réédité en DVD et BR par Gaumont donc je pense que la compagnie française en possède également les droits TV, à moins que ce ne soient les héritiers de Malle. Mais il a fallu faire des choix !

  3. Comet dit :

    Atlantic city a vraiment très mal vieilli (alors que je l’avais beaucoup aimé, adolescent, lors de sa sortie en salle). Ce n’est jamais agréable d’avoir ce genre de déception. Parfois c’est préférable de ne pas revoir certains films qu’on a aimés…

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