Olivier Père

Le Syndrome de Stendhal de Dario Argento

C’est en 1996 que Dario Argento signe son dernier film vraiment passionnant, malheureusement passé inaperçu au moment de sa sortie – il est demeuré inédit en salles en France et fit un bide en Italie. Le Syndrome de Stendhal (La sindrome di Stendhal) est certainement le chef-d’œuvre inconnu du cinéaste. Argento s’inspire d’un essai publié en 1989 par une historienne de l’art et psychanalyste d’orientation freudienne, Graziella Magherini, consacré à l’étude du « syndrome de Stendhal », qui désigne un trouble émotionnel, pouvant aller jusqu’au vertige et à l’hallucination, ressenti par un voyageur devant une ou une profusion d’œuvres d’art. C’est un sujet en or pour un cinéaste qui a toujours accordé une importance capitale aux tableaux et à la sculpture. Il couvre ici un spectre pictural qui va de « La Chute d’Icare » de Breughel et « La Ronde de Nuit » de Rembrandt jusqu’aux inquiétants graffiti d’un squat. Les effets spéciaux numériques, employés pour la première fois en Italie, sont très rudimentaires mais permettent à Argento d’imaginer un passage du monde réel vers celui de la peinture. Cette étrange histoire de traque de violeur en série et de transfert meurtrier, d’amnésie et de dédoublement de personnalité débute par une visite au Musée des Offices à Florence, où une jeune enquêtrice (Asia Argento) s’évanouit entourée de peintures de la Renaissance, et plonge littéralement dans un tableau. Cette séquence d’anthologie, où Argento retrouve la virtuosité de ses années de gloire, marque le point de départ d’un film à part dans sa carrière, sans doute le plus expérimental. La suite propose un récit à la structure complexe, qui s’interrompt en son milieu pour prendre une nouvelle direction, et dévoiler la schizophrénie de l’héroïne. La symétrie des deux parties coïncide avec le thème palindromique d’Ennio Morricone, qui opère lui aussi une symétrie musicale sensible à l’écoute.

Le Syndrome de Stendhal est enfin disponible en Blu-ray en version restaurée, édité par Extralucid Films qui propose aussi Le Sang des innocents, The Card Player et Lunettes noires. Le Syndrome de Stendhal existe en édition simple (deux disques avec le film et des suppléments vidéo), et en coffret collector avec un livret.

 

Catégories : Actualités

15 commentaires

  1. Guillaume dit :

    Avez-vous eu l’occasion de lire le roman écrit par Dario Argento et publié chez Bompiani, à la sortie italienne du film en 1996? Il n’a pas été traduit en français hélas mais je serais curieux de voir s’il est fidèle au film. Il me semble que Franco Ferrini co scénariste avait imaginé initialement une fin différente SPOIILERS Anna Manni emprisonnée qui « s’évadait » via une peinture champêtre présente dans sa cellule, mais Argento avait opté pour sa fin qu’on connait, plus désespérée mais néanmoins inoubliable. Le réalisateur Stuart Gordon considérait ce « Syndrome de Stendhal » comme le sommet de la carrière du Maestro, même si de son propre aveu le réalisateur de « Re-animator » n’avait pas tenu jusqu’à la fin de sa séance de cinéma, tellement il avait été pris de malaise pendant le visionnage sur grand écran…sûrement l’effet du fameux syndrome! C’est une oeuvre singulière, peut-être le film le plus intimiste d’Argento, un drame psychologique puissant où sa fille Asia y est étonnante de présence dans un rôle difficile. En ce qui concerne les autres Argento proposés dans le beau coffret Blu Ray d’ Extralucid Films je reste toujours assez mitigé sur « Le sang des innocents » par contre j’aime bien « The Card Player » (qui est au fond un remake épuré d' »Opera »..) et le très joli « Lunettes noires », étonnamment touchant et « tendre » pour du Argento!

    • Olivier Père dit :

      Non je ne connaissais pas ce livre, si j’ai bien compris c’était une « novelization » du scénario de Ferrini signée par Argento, qui diffère du film – je crois savoir que la fin prévue avait été modifiée un peu au dernier moment, ce qui explique la structure du film avec une dernière partie très différente du reste. Intéressant. Je suis moins indulgent que vous sur THE CARD PLAYER et OCCHIALI NERI… hélas.

  2. Comet dit :

    Bonjour. Film commandé sur vos conseils. Pour moi, le chef d’œuvre d’Argento est « Inferno » et la suite de sa carrière n’est qu’une longue descente aux enfers… J’aimerais trop me tromper et avoir une bonne surprise avec ce film que je m’étais refusé de voir jusque là. Comment un réalisateur qui a fait rêver toute une génération d’amateurs de films d’horreur (c’était le terme générique de l’époque) a-t-il pu atteindre un tel niveau de médiocrité….?

    • Olivier Père dit :

      Moi aussi mon film préféré d’Argento est INFERNO !
      j’en parle sur ce blog mais je pense qu’il a perdu l’inspiration et la motivation après OPERA qui l’avait épuisé et dont la réception l’avait déçu. son déclin correspond aussi à celui de l’industrie du cinéma italien, qui va perdre sa grandeur et son savoir-faire artisanal dont avait bénéficié Argento.

  3. Guillaume dit :

    OPERA sur la forme c’est le dernier film flamboyant, lyrique, d’Argento, mais c’est lié en partie au budget qui était je crois de 7 millions, une somme importante pour un film italien en 1987. J’avais lu que le mouvement de caméra fabuleux qui suit le vol des corbeaux à la fin du film avait été extrêmement coûteux. A partir des années 90 Argento a dû travailler avec des budgets plus restreints (à l’exception de sa version du FANTOME DE L’OPERA). C’est intéressant quand Comet écrit qu’il s’est « refusé » de voir INFERNO, ça me rappelle ma découverte du cinéma d’Argento au milieu des années 90, j’avais hésité pareillement à louer les vhs de PHENOMENA, OPERA et TRAUMA à cause précisément de l’accueil négatif de la presse française de l’époque (Mad Movies, Starfix/Christophe Gans, Le Cinéphage..) Et pourtant PHENOMENA reste peut-être mon Argento préféré, après toutes ces années. Quels que soient les retours sur une oeuvre il faut donc rester curieux, voir ou revoir les films avec le temps. Avec le recul je pense que le cinéma d’Argento est devenu moins spectaculaire, moins énergique à partir de PHENOMENA mais aussi plus intimiste, plus proche de ses personnages, et assez mélancolique dans le fond…comme dans ce SYNDROME DE STENDHAL, justement.

  4. Ballantrae dit :

    Il y a de belles choses dans Opéra ou Le syndrome de Stendhal mais cela n’est pas comparable avec les films des 70′.
    Inferno a marqué une apothéose délirante puis il y eut les réussites plus mélancoliques et forcément deceptives sur le moment de Trauma et Phenomena qui sont de beaux films.
    Par contre, je ne peux monter au créneau pour défendre un objet aussi bis que Le fantôme de l’opéra.

    • Olivier Père dit :

      Le Fantôme de l’opéra, c’est au-dessus de mes forces, comme tous ses derniers films, le nadir étant atteint avec l’affreux Dracula 3D. Je trouve Trauma très raté. Je garde un souvenir flou de LA TERZA MADRE découvert sur grand écran à Toronto, tellement vulgaire et « over the top » qu’il en devenait parfois hilarant/fascinant. je vais me hasarder à le revoir…

  5. Ballantrae dit :

    A marqué une apothéose délirante avec Inferno.
    Ma phrase était incomplète !

  6. Guillaume dit :

    Olivier Père:

    votre critique de LA TERZA MADRE à Toronto était parue en avant première dans la revue Nocturno à l’époque (le numéro proposait également un joli dossier sur la trilogie des « Mater »). Je trouve le film par son côté « over the top » et volontiers vulgaire que vous évoquez, proche dans l’esprit des MASTERS OF HORROR « Jenifer » et « Pelts », pour lesquels Argento avait eu « carte blanche » pour se lâcher dans la transgression, l’horreur et l’érotisme. Il y a une imagerie et des idées qui renvoient aux deux premiers volets de la trilogie mais aussi TENEBRES ((la violence quotidienne dans Rome), L’ANTRE DE LA FOLIE de Carpenter et Fulci avec cette vision de l’humanité plutôt misanthrope.. Pour TRAUMA je défends encore son côté mélancolique et intimiste (le couple Argento.Rydell) la photographie (en Scope anamorphique) de Raffaele Mertes est très belle, mais l’intrigue policière (démarquée par moments des FRISSONS DE L’ANGOISSE) manque un peu de surprises, dommage.

    Ballantrae:

    Les films des années 70 (et j’aoute aussi sa décennie 80) étaient sur la forme innovants plus spectaculaires et amples que la suite de sa carrière, indéniablement…d’un autre côté, dans sa période « formaliste » (SUSPIRIA , INFERNO , TENEBRES, LES FRISSONS DE L’ANGOISSE…) l’émotion l’humanité manquent un peu car les personnages restent des pantins ou au mieux de sympathiques silhouettes, les personnages des Argento ultérieurs seront à mon goût plus incarnés et touchants (Jennifer et McGregor dans PHENOMENA, Anna dans LE SYNDROME DE STENDHAL, Aura et David dans TRAUMA, Moretti dans LE SANG DES INNOCENTS, Anna Mari et John dans THE CARD PLAYER, Diana et Chin dans OCCHIALI NERI/LUNETTES NOIRES..)

    LE FANTOME DE L’OPERA comme DRACULA 3D souffre d’une raideur dans la narration et d’un côté illustratif qui déçoivent de la part d’un réalisateur tel qu’Argento, il ne semble pas très à l’aise dans le Gothique classique et le film en costumes (voir aussi LE CINQUE GIORNATE) et ces oeuvres paraissent étrangement figées, en retenue, sages. Il ne reste donc que quelques miettes sur la forme ( de jolies scènes souterraines dans LE FANTOME DE L’OPERA, la photo nocturne de Luciano Tovoli et la 3D pour DRACULA) . Dans les déceptions j’ajoute également LE CHAT NOIR dans DEUX YEUX MALEFIQUES et GIALLO, ce dernier semble avoir été une production à problèmes qui est d’ailleurs peu appréciée par Argento lui-même (comme précédemment LE CHAT A NEUF QUEUES)

  7. Ballantrae dit :

    J’ai commis une bévue : c’est Ténèbres que je voulais citer parmi les réussites du début des 80′ et non Trauma dont la réussite est plus contestable.
    Ténèbres est un peu oublié entre Inferno et Phenomena et pourtant ce retour vers le giallo est vraiment passionnant et plastiquement très accompli. Un aboutissement formaliste très différent de la manière baroque de Suspiria puis Inferno. Un film en noir/blanc/rouge tout en compositions géométriques accentuées par des éléments architecturaux très affirmés.

  8. Ballantrae dit :

    Du coup,je ne m’explique pas pourquoi on le cite beaucoup moins que les gialli des 70′ alors qu’il en propose une variante extrêmement aboutie et pas du tout en enlaidie par cette redoutable esthétique 80′ parfois too much ailleurs.
    Qu’on se souvienne de la série des Demoni de L Bava par exemple.

  9. Guillaume dit :

    Ballantrae:

    Si TENEBRES vous parait quelque peu boudé, c’est probablement parce qu’il ne revient pas justement au style baroque éternellement associé à Argento et si célébré de SUSPIRIA, INFERNO et LES FRISSONS DE L’ANGOISSE! C’est bien plus épuré (comme le fut 20 ans plus tard IL CARTAIO/THE CARD PLAYER). Et PHENOMENA en France à sa sortie avait eu droit à certains reproches similaires sur son style et sa lumière froide (Christophe Gans avait comparé le film dans Starfix à « une sale grippe contractée dans une tranchée, dans la bataille entre réalisme et baroque! »)!
    Argento avait déclaré pour TENEBRES s’être inspiré pour son visuel des séries télé américaines des années 70 comme COLUMBO et DROLES DE DAMES avec leur lumière crue, franche…le Cinémascope qui avait contribué à magnifier ses films des années 70 lui avait paru alors selon ses propres termes obsolète, d’où le 1:85 plus modeste de TENEBRES (puis le 1:66 de PHENOMENA?). En quelque sorte, consciemment ou inconsciemment, Argento avait suivi son « maitre » Mario Bava dont les oeuvres des années 70 (SHOCK, LES CHIENS ENRAGES, LA BAIE SANGLANTE..) étaient visuellement moins colorées, flamboyantes que ses films de la décennie précédente. Mais la première partie de la carrière d’Argento (de L’OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL en 1970 à OPERA en 1987) semble désormais faire à peu près l’unanimité chez ceux qui apprécient son cinéma. Au passage, si vous les avez, je cherche les chiffres d’entrées en Italie de TENEBRES en 1982/83 et PHENOMENA en 1985, car les chiffres divergent selon les sources que je possède…

  10. Comet dit :

    (Petite précision à l’attention de Guillaume. J’ai dû mal m’exprimer. Je ne me suis absolument pas refusé de voir Inferno qui est pour moi le chef d’œuvre. J’ai eu la chance de voir Inferno lors de sa sortie en salle quand j’étais ado et ce film m’a traumatisé (positivement, bien sûr). Je m’étais refusé de voir Le Syndrome de Stendhal en DVD ou je ne sais plus sur quel support (enfin je viens de le voir aujourd’hui). Inferno est vraiment un film extraordinaire qu’il faut voir absolument, trop sous-estimé par rapport à Suspiria. Autre film vraiment excellent d’Argento (du moins pour moi) c’est Les Frissons de l’angoisse.

  11. Guillaume dit :

    Comet:

    C’est ma faute, je vous avais mal lu! J’espère en tout cas que vous avez apprécié LE SYNDROME DE STENDHAL, qui vous donnera (ou pas!) l’envie de (re)tenter d’autres Argento.. Vous avez eu bien de la chance de voir INFERNO au cinéma, car je pense que les films d’Argento, ses réussites comme ses échecs, gagnent au visionnage sur grand écran. INFERNO est peut-être moins connu que SUSPIRIA parce que le scénario y est encore plus diffus et secondaire (seules comptent les visions) , et Mark/Leigh McCloskey est un protagoniste principal moins charismatique que Suzy/Jessica Harper. Je trouve aussi que la première moitié d’INFERNO est la plus forte mais ça n’en reste pas moins un sommet de cinéma labyrinthique et onirique, et évidemment une des grandes réussites formelles d’Argento.

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