Le Voyage en pyjama de Pascal Thomas sort en salle le mercredi 17 janvier, distribué par Studiocanal. Cette comédie pleine de charme et de fantaisie nous a donné envie de rencontrer son auteur pour en discuter avec lui.
Olivier Père : Comment définiriez-vous votre nouveau film Le Voyage en pyjama ?
Pascal Thomas : Comme mes précédents films, Le Voyage en pyjama est un récit, je l’espère, fait sur un ton léger, qui se veut surtout ludique, qui n’est là que pour distraire, et où on ne fait pas de concessions à la pensée ambiante, si pénible et surtout si désespérément sérieuse de ces dernières années… Dès mon premier film Les Zozos il m’a semblé que j’allais aimer dépeindre les instants heureux, cocasses, inattendus, secrets, du début des amours et des prémisses du désamour, bref dépeindre les moments surprenants et bouleversants où se décident les vies… se déroulant dans une France moqueuse, départementale, et bien sûr, sentimentale.
OP : Vous dédiez Le Voyage en pyjama à votre scénariste historique Roland Duval, décédé en 2018.
PT : Le personnage joué par Pierre Arditi s’inspire de Roland Duval qui a été mon professeur de français. Il n’est pas devenu cambrioleur mais c’est avec lui que nous chantions à la fin des cours « les Boitis sont des trics et des tracs / Et des merdes de rate / Qui chient des pleins paniers ». Il avait une grande fantaisie et surtout il nous orientait à la fois sur des classiques (Molière, Marivaux) mais aussi sur des auteurs moins connus (Philippe Jaccotet, Georges Perros). Nous avions aussi fondé un ciné-club à Montargis. Il détestait Bergman et Antonioni et a forgé notre goût à tous d’un cinéma populaire et inventif. Nous avons écrit plusieurs films ensemble après Les Zozos.
OP : Derrière son humour et son apparente désinvolture, le film aborde des sujets importants comme la transmission du savoir, le couple, la paternité et même la mort… Comme Victor, on sait que « le sérieux vous traumatise », mais cela ne vous empêche pas de parler de choses graves. Votre personnage Paul-Émile, dit Victor, est un épicurien. Il se rend disponible aux surprises de la vie et se montre toujours enthousiaste pour les plaisirs de l’esprit, de l’amour et de la table. Victor est-il détenteur de la morale du film ?
PT : Il est engagé dans la vie. Dans le film, tous les points de vue s’expriment. Il y a beaucoup de caractères qui s’opposent, y compris sur le plan physique et vestimentaire, et qui ne pensent pas de la même façon. C’est la leçon de Jacques Tourneur, qui choisissait des acteurs qui ne se ressemblaient pas. Quand vous vous baladez dans la rue, vous remarquez les contrastes des passants. C’est ce que j’essaie de reproduire dans mes films. Je veux filmer la souveraineté de l’insouciance, le triomphe de la vie qui va, l’allégresse parfois teintée d’un très léger soupçon de mélancolie. Je ne me refuse aucune cocasserie, ni les scènes à caractère vaudevillesque.
OP : Victor est un « monsieur nuage » comme l’appelle sa fille naturelle Victoria. Il se laisse emporter par le vent, ou par le courant comme un bouchon pour reprendre la phrase célèbre de Renoir. Dans ce film, avez-vous voulu exprimer une philosophie de la vie qui est la vôtre, et qui est résolument optimiste ?
PT : Le nuage n’a pas une forme définie, il s’adapte tout le temps. Cela me parait l’image juste pour définir Victor, le personnage et le comédien qui l’interprète. Le nuage n’impose pas. Il passe. Je pense que je suis optimiste par nature. Quand j’étais gamin dans le Poitou, je me réveillais en pensant que la journée allait être merveilleuse, que tout allait être heureux. C’est quelque chose qui m’est restée encore aujourd’hui.
OP : On vous considère comme un cinéaste réaliste, attaché au monde tel qu’il est, et pourtant votre film accorde une place non négligeable à l’onirisme et à la poésie. La vie nocturne de Victor joue un rôle central dans le film. Des rêves viennent prolonger des situations vécues.
PT : Victor découvre qu’il a une fille adolescente. Ils se reconnaissent, se comprennent et s’accordent tout de suite, mais doivent se quitter. Il la retrouve dans un rêve car il sait qu’il ne pourra pas être son père dans la vraie vie. Victor rencontre sa fille mais continue sa route.
OP : On entend dans ces rêves des phrases qui donnent au film un éclairage inattendu, comme : « Il y a beaucoup de fausses routes, il n’y a peut-être que des fausses routes… »
PT : Je le pense vraiment. Regardez les biographies, ce ne sont que des fausses routes. On a tous pris des fausses routes, même s’il reste toujours un peu d’espoir.
OP : Votre film prêche le goût du bonheur, l’amour de l’amour et le refus de la tristesse. Pourtant, Victor connaît aussi la tentation des gouffres et commet une maladroite tentative de suicide. Vous nous montrez aussi la fragilité de l’existence…
PT : Comme Balzac j’appartiens à un parti d’opposition qui s’appelle la vie. Dans la vie il y a des moments de creux. Mais pour moi ce n’est pas un suicide : c’est une fausse tentative à laquelle on ne croit pas beaucoup.
OP : Victor aime les femmes, mais c’est surtout un homme aimé par les femmes.
PT : Après Celles qu’on n’a pas eues, le film pourrait s’appeler Celles qui ont bien voulu de nous.
OP : Jules César (Pierre Arditi) et Victor (Alexandre Lafaurie) sont-ils des autoportraits à différents âges de la vie, ou alors une version réelle et une version fantasmée de vous-même ?
PT : C’est vrai qu’il y a toujours une part d’autobiographie dans mes personnages.
OP : Le plaisir du verbe, des mots d’esprit, des citations… Est-ce que cela vous rattache à une certaine tradition du cinéma français des années 30 ?
PT : J’aime les choses légères et bien écrites. J’aime qu’il n’y ait pas de démonstration et que les répliques amusent. J’écris des choses qui me font rire. Quand ça devient lourd, ma collaboratrice Nathalie Lafaurie est là pour me corriger. Quand Victor parle d’un « joli coup de passé… », c’est une citation de Henri Jeanson extraite d’Un revenant de Christian-Jaque. Quand Anny Duperey dit que « le tango est une pensée triste qui se danse », c’est de Borges. Je trouve agréable d’entendre ça dans un film. Je tiens à ce que les auteurs soient nommés, contrairement à Godard.
OP : Vous aimez les films peuplés de nombreux personnages.
PT : Cela s’accorde à mon enfance et mon adolescence. Quand mon père est mort, je suis devenu myope, bègue et tuberculeux. Je me suis retrouvé dans un préventorium, entouré d’un groupe de malades. Ensuite, comme j’étais turbulent, ma mère m’a envoyé en pension. Je suis de nouveau au milieu d’un groupe, que je regarde et auquel je suis attentif. Cela a exercé une énorme influence sur ce goût de montrer des groupes dans mes films.
OP : La France rurale est votre terrain de prédilection, depuis vos premiers films. D’où vient votre sensibilité pour les villages, les petites villes et les paysages naturels ?
PT : Cela tient à mon histoire familiale. Dès mon premier film, j’ai voulu quitter Paris. Je voulais aussi me placer en opposition avec le cinéma de la Nouvelle Vague qui était très parisien, à l’exception de Chabrol que j’aimais le plus (avec Truffaut). Quand on me demande si j’aime la campagne, je réponds oui mais avec une équipe de cinéma. La campagne française est belle, et elle a été plutôt protégée. J’ai adoré mon enfance dans le Poitou et il y avait des lieux que j’avais envie de voir et de revoir, car ils n’avaient pas changé. J’ai pris du plaisir à les filmer. Sur les vingt films que j’ai faits, il n’y en a que deux qui se déroulent à Paris.
OP : Où avez-vous tourné le film ? Comment avez-vous procédé aux repérages ?
PT : Nous ne devions pas tourner au Mans, mais à Saintes, en Charentes-Poitou, ma région, où nous avions trouvé des endroits merveilleux. Nous avons rencontré des difficultés de production. Le producteur Éric Langlois habite Le Mans et m’a proposé d’aller y tourner le film. J’ai découvert cette région qui est magnifique, et nous y avons fait de nouveaux repérages.
OP : Vous avez dit : « Mon cinéma raconte un état antérieur. » Vous semblez cultiver le plaisir d’être inactuel. Votre film se déroule dans une France intemporelle, comme si le voyage de Victor était un voyage à rebours dans le temps, et peut-être un voyage en utopie.
PT : Les paysages sont intemporels, mais les caractères aussi. Ils ne sont pas définis par l’époque. Quand on me demande quand se déroule Le Voyage en pyjama, je réponds que c’est l’époque du film. Les seules marques de notre époque, ce sont les tatouages que l’on aperçoit sur les mains de l’acteur, Alexandre Lafaurie. Mes préférences, on le sait, vont aux histoires où se trouvent mêlés le goût de vivre, les rires, les sourires, la beauté des corps et des paysages inchangés de la campagne française et parfois la petite musique des désenchantements… Un temps d’autrefois ?
OP : Vous êtes contre votre époque, tout contre. Pourtant dans ce film, vous faites davantage preuve d’insolence et d’impertinence que d’aigreur ou de provocation. Larguer les amarres, prendre le large, n’est-ce pas la meilleure solution pour éviter les diktats de la société ?
PT : Les possesseurs de vérité m’inquiètent et me font peur : je suis un anti-fanatique. Il n’y a aucune raison d’agresser les spectateurs dans une comédie, ni de les ennuyer avec ses idées ou ses colères. Ce n’est pas intéressant d’avoir des mouvements de détestation dans les films. Il n’y a pas non plus de point de vue politique déclaré dans mes films. Ceux qui mettent en avant leurs opinions politiques, leur supposé engagement m’ont toujours paru surtout préoccupés par leur situation mondaine. Quand j’étais journaliste, je refusais d’écrire sur la politique. J’ai toujours éprouvé un peu de mépris, avec un « m » comme « moquerie », pour les hommes politiques, à part quelques grandes figures comme Churchill, de Gaulle, Attila ou Gengis Khan.
OP : Vous avez dit : « Au cinéma, plus on est classique, plus on a des chances d’être moderne. » Comment avez-vous pensé votre mise en scène, qui est fantaisiste mais sans ostentation, qui exprime un sentiment de liberté tout en restant sobre ?
PT : Le cinéma est l’art du concret : un exemple est toujours préférable à un discours. Je n’aime pas la beauté cinématographique fabriquée, souvent préfabriquée, qui fait surtout oublier ce que le film veut raconter. Je vais toujours au plus simple. Quand on filme une scène, il faut que les spectateurs la voie la mieux possible, donc on ne va pas faire des fantaisies acrobatiques avec la caméra. L’important, c’est la clarté. Il n’y a rien d’autre. J’aime les plan séquences. Quand les personnages bougent, la caméra les suit. Quand ils restent immobiles, la caméra aussi. Je demande toujours aux acteurs de ne pas prendre de pose, de ne jamais réfléchir à ce qu’ils vont dire. Dans Pleure pas la bouche pleine ! Jean Carmet devait donner une gifle à sa fille mais il n’arrivait pas à le faire spontanément. Je lui ai expliqué que son personnage revenait de la messe avec des chaussures neuves et qu’il avait très mal aux pieds. On a tout de suite tourné et la prise était bonne. Il faut inventer des activités physiques aux personnages qui font oublier la mise en scène. Je ne dirige pas les acteurs, je les mets en état.
OP : Tout est centré autour des acteurs ?
PT : Tout. Ce sont eux qui portent le film. C’est leur phrasé qui compte. Catherine Frot m’avait demandé quelle était la psychologie de son personnage dans La Dilettante. Je lui ai répondu « La psycho quoi ? » Je lui ai fait écouter des enregistrements de Louise de Vilmorin qui était l’une des personnes les plus drôles, les plus fantaisistes et aussi les plus libres que j’ai pu connaître. Il y avait dans son phrasé très particulier des accélérations, des ralentissements, elle disait « au secours » quand elle était troublée… L’apparence vestimentaire est également très importante. Il faut que le vêtement soit accordé au personnage.
OP : Comment avez-vous pensé à Alexandre Lafaurie pour interpréter le rôle principal de Victor, personnage de bonne compagnie dans un film de bonne compagnie ?
PT : Ça a été un heureux concours de circonstance. Le film a été une très belle expérience où tout s’est fait au dernier moment. Le film a connu de nombreux aléas de production mais je restais persuadé qu’il fallait le faire. J’étais dans une situation baroque mais habituelle pour les réalisateurs comme moi : j’étais en recherche de financement pour faire mon film, et misais sur un acteur connu pour l’obtenir. J’en ai contacté plusieurs, mais ils n’étaient pas disponibles. Le caractère d’Alexandre Lafaurie, le fils de Nathalie, correspondait parfaitement à celui du personnage. Au fur et à mesure que nous écrivions, nous nous sommes tournés vers lui avec certitude. Je fais partie de ces metteurs en scène qui n’aiment pas les acteurs qui hurlent ou jouent comme au théâtre. Depuis le début je cherchais un acteur élégant et beau, avec du charme et une voix douce. Alexandre Lafaurie travaille dans la post-production et la retouche photo dans la mode et le luxe. Il a pris cinq semaines de congés sabbatiques pour tourner dans le film. Il avait déjà tenu des petits rôles dans certains de mes films. Plusieurs personnes autour de moi étaient sceptiques à l’idée que j’emploie un acteur non-professionnel dans un rôle principal. Mais quand Alexandre a fait la lecture des dialogues pour la première fois, sa voix a créé le personnage et tout s’est mis en place. Je n’avais plus aucun doute.
OP : On retrouve dans votre film des visages familiers mais aussi des nouveaux venus, et surtout des nouvelles venues. Comment avez-vous constitué votre distribution ?
PT : Cela découle de rencontres, ainsi que du travail de la directrice de casting Laurence Lustyk qui nous a fait penser à Anny Duperey et à Constance Labbé, que je ne connaissais pas et qui est une actrice merveilleuse. Il y a aussi Christophe Bouisse dans le rôle du majordome. C’est vraiment un acteur scapinesque, comme Bernard Menez : il apparait et on se marre ! Emmanuelle Bouaziz joue aussi dans le film, aux côtés d’une actrice débutante Marguerite Perrotte, une amie de ma fille Victoria : elles incarnent le couple de lesbiennes.
OP : Parlez-nous de la musique dans le film…
PT : Mon travail avec les musiciens a toujours été particulier parce que je n’ai pas d’oreille. Je leur demande ce qui me plait, à savoir des mélodies que je retiens vite. J’ai commandé au dernier moment une musique à Reinhard Wagner, qui est un musicien qui trouve l’idée et compose très rapidement. Je lui ai dit que ça serait bien que Alexandre chante avec Lolita Chammah, son ex-amoureuse. Nous les avons mis au piano et pratiquement dans l’heure, il a écrit cette mélodie. Comme il lui fallait des paroles, et qu’à ce moment-là je relisais Apollinaire, qui est mon poète français préféré, j’ai pensé à Marie dans Alcools. Je regrette qu’il soit mort si tôt, à l’âge de 38 ans. Apollinaire a inventé le surréalisme et il aurait pu prendre la place d’André Breton. Avec lui le surréalisme aurait été plus aimable qu’avec ce dictateur. Reinhard Wagner a fait de ce poème quelque chose que je trouve parfait, chanté par Lolita, puis par ma fille Victoria Lafaurie durant le générique de fin. J’aime bien les chansons dans les films. La chanson dans un film est un moment de détente. Le spectateur part ailleurs. J’ai même fait une comédie musicale que j’ai complètement ratée, Un oursin dans la poche en 1977. J’ai fait ce film parce que j’avais rencontré Georges Tabet, du duo vocal Pills et Tabet. C’était un homme très agréable, qui possédait un grand savoir musical. Un jour, il m’a joué tous les airs populaires depuis la Révolution jusqu’à 1950-55. Il en connaissait les paroles et les musiques. Ça a duré tout un après-midi, je suis fou de ne pas avoir enregistré ça. J’ai eu envie de faire une comédie à couplets avec lui. Il m’a écrit des paroles et j’ai pris Vladimir Cosma comme musicien. Tabet faisait un peu la grimace car il trouvait que c’était « de la musique savante ». Cosma avait composé une très belle musique pour Pleure pas la bouche pleine !
OP : Irène Jacob m’a parlé de votre bonheur de tourner, bonheur très communicatif pour le reste de l’équipe. Est-ce que le tournage est votre étape préférée de la fabrication d’un film ?
PT : L’équipe était merveilleuse, et le tournage a été très joyeux, malgré les difficultés. Le tournage est l’étape la plus importante, le plat de résistance si on compare la fabrication d’un film à un repas. Le reste, ce sont des zakouskis. Je ne suis peut-être heureux que quand je tourne. Le principal héros de mes films c’est le bonheur. C’est à lui qu’il faut s’intéresser… en souhaitant qu’il ne vienne pas à la toute fin.
Propos recueillis le 16 septembre 2023.
« Mon petit doigt m’a dit, le 13 janvier 2024 :
je connaissais le metteur en scène Pascal Thomas pour son deuxième film « pleure pas la bouche pleine » sorte de chronique enfantine non dénuée de charme. L’homme sait manier la caméra et ses vues du Lac Léman, de la campagne du Chablais avec ses belles propriétés, sont vraiment réussies. Autre point fort, le duo Beresford, lui colonel barbouzard, elle fofolle obsédée d’enquêtes criminelles. Leurs dialogues de vieux couple toujours épris l’un de l’autre mais connaissant par coeur leurs défauts respectifs sont savoureux. Ce n’est plus de la chronique enfantine mais de la chronique de vieux, voire de très vieux quand on se balade dans un Ehpad. Le reste a été plus difficile à manier : les meurtres à la Agatha Christie, la multitude des personnages, l’ambiance grand guignolesque, l’enquête laborieuse, le tout est confus et difficile à capter. N’est pas Hitchcock qui veut ». Je vais aller voir « le voyage en pyjama » dès mercredi et ferai ma critique comme ci-dessus dans allociné.
Bonsoir,
Cela n’a rien à voir mais allez-vous nous indiquer vos films préférés de 2023 ? Dans l’affirmative, pourriez-vous également mentionner les films »anciens » édités en 2023 que vous avez aimés ? En vous remerciant par avance.
Bonsoir,
oui j’y travaille.
Oui aussi pour les rééditions (en salle ou en Blu-ray ou les deux)
Bien à vous,