Olivier Père

Daniel de Sidney Lumet

Sidney Lumet, auteur de plusieurs chefs-d’œuvre dans les années 60 et 70, débute la décennie suivante avec deux titres majeurs : Le Prince de New York (en 1981, sur la corruption policière) et Daniel (en 1983, sur les conséquences de l’anticommunisme durant la Guerre froide). Si le premier titre a obtenu un grand succès, le second n’a jamais atteint la même notoriété. C’est regrettable car il s’agit d’un film magnifique, qui réussit la synthèse de l’art de Sidney Lumet : un style aussi invisible que précis, ainsi qu’un talent indiscutable pour la direction d’acteurs. Daniel vient également nous rappeler à quel point les relations familiales et la ville de New York occupent une place importante dans la filmographie de Lumet. Malgré les apparences, Daniel n’est ni un tableau des Etats-Unis ni un film politico-historique, mais un drame psychologique qui montre les conséquences d’un trauma familial sur la vie d’un jeune homme et de sa sœur cadette, de l’enfance jusqu’à l’âge adulte. Réalisé en 1983, Daniel est l’adaptation par son auteur E. L. Doctorow (Ragtime, porté à l’écran par Milos Forman) de The Book of Daniel, roman historique qui s’inspirait du procès des époux Rosenberg, accusés d’être des espions soviétiques et exécutés en 1953. Sidney Lumet et Doctorow refusent de réaliser un film biographique traditionnel décident de raconter une histoire originale, celle de la famille Isaacson, sur deux temporalités : les années 50, en pleine guerre froide, et à la fin des années 60, pendant les manifestations contre la Guerre du Vietnam. Daniel (Timothy Hutton) essaie de mener une vie normale tandis que sa sœur Susan (Amanda Plummer) s’est engagée corps et âme dans le militantisme, au risque d’en perdre la raison. C’est à cette époque que Damien se souvient de la tragédie qui brisa l’harmonie familiale quinze ans plus tôt. Lumet s’intéresse à la manière dont Daniel et Susan portent le terrible fardeau de la mort de leurs parents, dénoncés et accusés de haute trahison. Lumet fait une utilisation très intelligente du flash-back et brosse un tableau documenté des milieux communistes américains, ainsi qu’une représentation juste de la communauté juive new yorkaise, qui demeure l’un des grands sujets du cinéaste.

Le Blu-ray édité par Spectrum offre l’occasion de réévaluer l’importance de Daniel dans la filmographie de Lumet – il annonce un autre film important réalisé cinq ans plus tard, Running on Empty, sur des thèmes comparables. Lumet fuit les effets spectaculaires mais se montre extrêmement brillant dans la gestion de deux temporalités qui se succèdent au cours du récit, et correspondent aux souvenirs d’enfance de Daniel. D’excellents suppléments permettent de mieux comprendre et apprécier le film, sa dimension politique et sa place dans l’œuvre de Lumet ainsi que dans le cinéma américain.

 

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5 commentaires

  1. MB dit :

    excellente idée de publier ce film, c’est l’un des derniers grands Lumet encore cachés dans les limbes

  2. Ballantrae dit :

    C’est un Lumet indéniablement oublié tout comme Equus que j’aime beaucoup dans cette période des 80′ où Lumet s’est montré plus éclectique que jamais ( The wiz c’était lui!… assez bizarre et pas du meilleur goût).
    Mais Daniel qu’on peut effectivement rapprocher de Running on empty est un très beau film, poignant et fort.
    Vous me donnez envie de le revoir.

  3. Snoopy18 dit :

    Je suis un peu plus réservé à propos d’Equus, malheureusement plombé par une redondance de gros plans sur le visage de Burton. Il s’apparente à un film de dermato….Le travail sur la photo d’Oswald Morris est, de plus, assez déplaisant.
    Un petit bon en arrière, en 1964, permet de se replonger « The pawnbroker », admirable film, tant dans sa forme que son montage, traitant d’un sujet ultra sensible, survivre après Auschwitz.
    Un Lumet à redécouvrir.

  4. Olivier Père dit :

    Je sais que Equus n’a pas une excellente réputation et ce n’est peut-être pas un très grand film mais il m’avait marqué car je l’ai vu très jeune. Et que je suis fan de Richard Burton malgré sa vilaine peau. Et que la photo assez glauque l’inscrit dans une certaine tendance du film fantastique/horreur anglais des années 70 qui ne me déplait pas. Pas encore revu The Pawnbroker. J’ai essayé de visionner The Wiz que j’ai trouvé impossible…

  5. Snoopy18 dit :

    Daniel est un film aux inflexions élégiaques, automnales, tout en portant les germes de la renaissance.
    L’alternance des époques, la gamme chromatique, le grain de l’image, sont très judicieusement utilisés.
    Un très grand Lumet, merci Olivier pour cette découverte.
    On pense forcément à « Pastorale américaine »de Philip Roth qui, quinze ans plus tard, inversera les rapports générationnels de l’activisme et de l’héritage.
    Timothy Hutton m’avait beaucoup marqué à l’époque d’Ordinary people de Redford. J’avais 14 ans.
    Il incarne la jeunesse américaine fragile, qui doute, qui peut dévier, à travers quelques films jalons de cette décennie.
    Il retravaillera encore avec Lumet pour le très bon « Q and A » en 1990. Encore un film à réhabiliter.

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