L’âge d’or du cinéma japonais recèle tant de trésors qu’il nous réserve encore bien des surprises. La preuve en est avec la découverte récente, pour bon nombre de cinéphiles occidentaux dont je fais partie, de Yuzo Kawashima (1918-1963), grâce au nouvel éditeur Badlands qui propose trois des meilleurs films de ce réalisateur japonais adulé dans son pays. Les femmes naissent deux fois (1961), Le Temple des oies sauvages (1962) et La Bête élégante (1963) appartiennent à la dernière partie de sa carrière. Le prolifique et inclassable Yuzo Kawashima était un des piliers de la société de production Daiei, avec Kenji Misumi et Yasuzō Masumura. La Bête élégante, son 49ème long métrage (!), réalisé l’année de sa mort prématurée, est à la fois un tour de force stylistique, une étude de moeurs féroce et le constat politique du Japon du boom économique et de l’essor capitaliste. Yuzo Kawashima y montre un pays déchiré entre tradition et modernité, repli sur soi et influence occidentale. La Bête élégante propose l’étonnante histoire d’une famille d’escrocs, luttant contre la misère, arnaquée par plus voleurs qu’elle. Le cinéaste livre tableau féroce, en forme de microcosme étouffant et cruel, de la société japonaise et de la lutte pour la survie de petits arnaqueurs sans un yen. Toute l’action du film se déroule dans un appartement étriqué et la cage d’escalier d’une HLM, où se déchirent les membres de la famille et leurs visiteurs. Les spectateurs de 2023 pourront établir, à juste titre, des comparaisons avec Parasite de Bong Joon-ho. La mise en scène et l’interprétation (l’admirable Ayako Wakao, actrice récurrente chez Masumura) sont d’un très haut niveau. On frise le chef-d’oeuvre. On se réjouit de rencontrer un cinéaste aussi surdoué, et on se désole de ne pas l’avoir connu plus tôt.
La Bête élégante de Yuzo Kawashima
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