Olivier Père

Les Espions et La Femme sur la Lune de Fritz Lang

Le cinéma d’espionnage va irriguer à différents moments de leurs carrières respectives l’inspiration de deux immenses cinéastes, Fritz Lang et Alfred Hitchcock, qui vont inventer des figures stylistiques et narratives propres au genre, reprises à satiété au cinéma et à la télévision. Les Espions (Spione, 1928) en est la parfaite illustration.

Après Les Nibelungen et Metropolis, Fritz Lang abandonne le monumentalisme de ses créations légendaires ou futuristes pour se consacrer à un projet contemporain, aux dimensions presque modestes : un sensationnelle récit d’espionnage dans un pays imaginaire, conçu pour captiver les spectateurs du monde entier. Cette ambition revue à la baisse est la conséquence des pertes colossales de Metropolis. Lang entend rassurer la UFA avec un retour au cinéma d’aventures modernes qui emprunte au sérial et s’inspire en partie d’affaires politiques liées à l’actualité ou l’histoire récente. Lang reste néanmoins fidèle à son perfectionnisme intransigeant, avec la construction de décors magnifiques et une attention aux moindres détails de la mise en scène. Les Espions est un thriller éblouissant, un modèle de cinéma d’action et de suspens truffé de scènes spectaculaires – poursuites en voitures, accident ferroviaire – et dont le style épuré et abstrait annonce les implacables films noirs de la période américaine de Lang. Après Mabuse, Lang et sa scénariste Thea Von Harbou (qui adapte son propre roman) imaginent un autre génie du crime en la personne de Haghi – toujours interprété par Rudolf Klein-Rogge. Haghi est un banquier qui dirige de son bureau un réseau d’agents spécialisés dans le vol de secrets d’états, le meurtre et le chantage. Le pouvoir omniscient de Haghi, dissimulé sous l’apparence d’un infirme, et son utilisation des techniques modernes de surveillance et de communication en font un potentat de l’ombre, qui étend son contrôle et sa domination sur le monde, manipulant hommes et femmes comme des marionnettes. Progrès de la violence, violence du progrès. A ce personnage maléfique et immobile s’oppose un super espion en perpétuel mouvement, incarné par le séduisant Willy Fritsch, pur héros langien dans la mesure où il ne s’exprime et se définit que par ses actions. Le film est admirable de bout en bout et il se conclut de manière géniale sur la scène d’un théâtre, juste avant le baisser de rideau. Cette ultime image vient rappeler que les stratagèmes de séduction et de persuasion, les déguisements des espions sont autant de mensonges, d’artifices et de dispositifs scéniques dignes des plus grands acteurs et des plus grands cinéastes.

Dans la filmographie de Fritz Lang, La Femme sur la Lune (Frau im Mond, 1929), comme Les Espions, est une œuvre presque légère et optimiste. Adieux de Fritz Lang aux grosses machineries de studio, La Femme sur la Lune est le premier film de science-fiction sérieux et réaliste. Dans la filmographie de Fritz Lang, il vient clore la période muette du cinéaste, au cours de laquelle il explora, avec des moyens colossaux, le patrimoine culturel allemand et les mythologies germaniques (Les Nibelungen) mais aussi les territoires du rêve, de l’imagination et du futur (Metropolis). Dès ses premiers films parlants (M le maudit et Le Testament du docteur Mabuse), Lang s’intéressera enfin à la société et au monde moderne. La Femme sur la Lune qui raconte la préparation puis le déroulement d’une expédition lunaire, s’éloigne pourtant du folklore du cinéma de science-fiction et des premiers récits de croisières sidérales mis en image par Méliès. Ici, point de sélénites, de fusées de fantaisie ou de monstres extra-terrestres. Même si le film débute par des péripéties empruntées au cinéma d’espionnage, La Femme sur la Lune s’affranchit dans sa seconde partie des conventions du feuilleton en vogue et des serials de luxe précédemment filmés par Lang.
Le cinéaste décide de s’entourer de savants et de s’appuyer sur la réalité scientifique. Il parviendra même à anticiper l’histoire de la conquête spatiale, notamment en inventant le principe du compte à rebours, employé dans un souci de suspens dramatique. À l’instar de Jules Verne en littérature, certaines trouvailles de Lang se révéleront prophétiques. Les Nazis interdiront le film et détruiront les maquettes du vaisseau spatial, trop proches des véritables V1 et V2 tenus secrets par le régime.

 

Les Espions et La Femme sur la Lune viennent d’être réédités dans de superbes combos DVD / Blu-ray par Potemkine, en version restaurée.

 

Catégories : Actualités

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *