Olivier Père

Distinto amanecer de Julio Bracho

Sur ordre du gouverneur Vidal, un dirigeant syndical est assassiné au centre de tri postal de Mexico. Son camarade, Octavio, parvient à s’échapper mais il est poursuivi par des agents secrets lancés à ses trousses. Il se réfugie dans un cinéma où il rencontre par hasard Julieta, son amour de jeunesse. Cette dernière mène désormais une existence misérable, aux côtés d’un écrivain raté qui était autrefois l’ami d’Octavio. Le couple décide d’aider le fugitif à empêcher que des documents compromettants tombent entre les mains des hommes du gouverneur.

 

Œuvre majeure de la filmographie de Julio Bracho – il s’agit seulement de son quatrième long métrage – Distinto amanecer figure parmi les titres essentiels de l’histoire du cinéma mexicain. Souvent considéré comme l’un des premiers films noir produits dans ce pays, Distinto amanecer se distingue avant tout par sa singularité, qui lui fait échapper aux conventions d’un genre particulier, et même d’un mélange des genres, si fréquent au Mexique. Certes tous les ingrédients du film noir sont réunis : le crime, l’amour, la nuit, le destin… Pourtant, Julio Bracho dépasse les clichés pour nous conter un amour contrarié sur fond de luttes clandestines et d’opposition politique. Deux ans avant Crepúsculo, Distinto amanecer raconte déjà les retrouvailles improbables, dans la salle de projection puis les toilettes d’un cinéma, d’un homme et d’une femme qui se sont aimé en secret et que la vie a séparé. A la différence de Crepúsculo, cette réunion n’a rien de funèbre. Elle marque au contraire le début d’une renaissance, du retour de l’espoir et de la dignité après des années de déchéance et une longue nuit d’angoisse. La ville nocturne est la principale protagoniste de Distinto amanecer. Bien que plusieurs séquences en intérieurs trahissent l’origine théâtrale du projet – une pièce inédite de Max Aub – le film propose un voyage dans les bas-fonds de Mexico, ses ruelles sombres, ses immeubles miteux aux cages d’escalier menaçantes, ses cabarets enfumés, superbement photographiés par Gabriel Figueroa, maître du clair-obscur, capable de transfigurer des décors naturels. Au-delà de sa brillance formelle, Distinto amanecer est surtout notable pour la virulence de sa charge contre le gouvernement mexicain de l’époque. Dès la fin du générique, un carton informe le spectateur que le conflit dramatique qui va suivre est universel et pourrait se dérouler n’importe où dans le monde contemporain. Cette précaution inaugurale, sans doute rassurante pour la censure, ne trompe personne. Il est évident que le film dénonce la corruption qui gangrène les instances dirigeantes du pays. Les espions et agents du gouverneur qui traquent Octavio sont décrits comme des gangsters, dont ils partagent l’accoutrement et les méthodes expéditives. Octavio est interprété par Pedro Armendáriz, star du cinéma mexicain et acteur fétiche d’Emilio Fernández. Armendáriz connut une carrière internationale, et apparut dans des films signés John Ford, Michael Curtiz, Christian-Jaque… Se sachant atteint d’un cancer, il se suicide en 1963 après avoir joué dans Bons Baisers de Russie de Terence Young. Andrea Palma (dans le rôle de Julieta), une des actrices les plus populaires au Mexique, était la sœur du réalisateur Julio Bracho, qui la dirigea à plusieurs reprises.

 

Distinto amanecer (Aube différente, 1943) de Julio Bracho fait partie de la rétrospective de cinq films noir de l’âge d’or du cinéma mexicain proposée en salle par Les Films du Camélia à partir du mercredi 14 juin. Texte écrit pour le dossier de presse.

 

Catégories : Actualités

3 commentaires

  1. MB dit :

    eh ben je n’avais strictement jamais entendu parler de ces films.
    Je croyais que le cinéma mexicain était colonisé par les catcheurs masqués!
    C’est très courageux de la part des Films du Camélia de les sortir, chapeau!
    Le film de Fernandez me tente, j’ai vu LA RED comme beaucoup…

    • Olivier Père dit :

      Les cinq films sont excellents et il faut aussi signaler ceux de Roberto Gavaldon, maître du mélo mexicain, que le Camélia a sorti l’année dernière…

  2. Ballantrae dit :

    Cher Olivier,
    C’est heureux de voir revenir cette volée de billets qui plus est pour nous faire découvrir un pan méconnu voire inconnu du cinéma.
    Comme MB j’avoue ne pas connaître cette liste de films et l’unique repère demeure le nom d’E Fernández connu pour La red.
    C’est très curieux qu’on connaisse le Mexique d’abord par un exilé fameux ( Bunuel) et par des noms plus contemporains ( Ripstein, Reygadas…) et non par ses « classiques » mais vous illustrez là l’un des ressorts les plus merveilleux de la cinephilie: en creusant on trouve des trésors !

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