Olivier Père

Le Mystère von Bülow de Barbet Schroeder

Dans le cadre de son « Winter of Mysteries » qui permettra de voir ou de revoir en janvier Sueurs froides d’Alfred Hitchcock, Mulholland Drive de David Lynch, Le Mystère de la chambre jaune de Bruno Podalydès, Les Sorcières d’Eastwick de George Miller ou Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg, ARTE diffuse Le Mystère von Bülow (Reversal of Fortune, 1990) de Barbet Schroeder dimanche 23 janvier à 21h.

Le Mystère von Bülow illustre un thème qui traverse la filmographie de Barbet Schroeder : la fascination pour le mal. Le cinéaste l’aborde de manière frontale dans une trilogie documentaire qui dresse les portraits de personnalités à la fois charismatiques et terrifiantes, rencontrées par le cinéaste : Amin Dada, Jacques Vergès, plus récemment le moine bouddhiste birman islamophobe Ashin Wirathu dans Le Vénérable W.

Mais ce thème parcourt aussi le versant fictionnel de l’œuvre de Schroeder, et particulièrement sa période américaine. Schroeder, en bon cinéphile, se souvient de l’adage d’Hitchcock selon lequel « plus réussi est le méchant, plus réussi et le film ». Il a même, avec Calculs meurtriers (2002), réalisé une variation autour de La Corde – des étudiants machiavéliques y planifiaient le crime parfait.

Le Mystère von Bülow évoque un autre film d’Hitchcock, Soupçons. Une riche héritière est plongée dans un coma irréversible. Des témoignages accablants invitent à penser que c’est son mari qui a tenté de l’assassiner en l’empoisonnant, pour conserver sa fortune. Déclaré coupable de deux tentatives de meurtre sur son épouse, le millionnaire par alliance fait appel et s’offre les services d’un avocat énergique, spécialisé dans les affaires de droits civiques et étranger au monde de la très grande richesse. Cinéaste tout terrain, habile à se couler dans le moule du cinéma hollywoodien, Barbet Schroeder n’a aucun mal à rendre très personnel un projet écrit par Nicholas Kazan et produit par Edward R. Pressman et Oliver Stone. D’abord parce que le sujet le passionne. Ensuite parce que la question du réalisme, essentielle au cinéma de Schroeder, imprègne le film. En effet, Le Mystère von Bülow est inspiré d’une histoire vraie, qui défraya la chronique au début des années 80. Le film adopte le point de vue de l’avocat de Claus von Bülow, Alan Dershowitz. Le scénario est adapté du livre de Dershowitz dans lequel il raconte sa stratégie de défense et ses convictions dans l’affaire. Le Mystère von Bülow est donc extrêmement documenté, et relate dans le détail les méthodes de l’avocat et son équipe pour trouver les failles dans les accusations contre son client. Schroeder reconstitue l’affaire et décide de s’en tenir aux faits. C’est la raison pour laquelle, innocenté ou pas par la justice américaine, von Bülow emporte son secret avec lui. Lorsque des zones de doute demeurent, Barbet Schroeder a recours dans des scènes de flash-backs à des prises multiples, filmées différemment selon le narrateur. Jeremy Irons accomplit une performance d’acteur en interprétant Claus von Bülow, grand bourgeois glacial et cynique, dont l’attitude hautaine ligue l’opinion contre lui. En acceptant de défendre un personnage méprisant et antipathique, tout en estimant sa culpabilité probable, Dershowitz démontre à ses étudiants qu’il ne faut jamais se fier aux apparences, et que le pire des salauds mérite un procès équitable. Une étrange relation se noue entre deux hommes que tout oppose, tandis que Dershowitz ne parviendra jamais à percer le mystère de von Bülow, simple opportuniste sans affect ou assassin manipulateur. Le film se termine sur une note d’humour noir qui définit bien le personnage, dandy vénéneux et ambigu. Comme à son habitude, Barbet Schroeder s’interdit de juger ou de condamner von Bülow. S’il pose un regard critique, c’est plutôt sur l’ensemble de la haute société de la côte est, hypocrite, autarcique, obsédée par le secret et l’argent, indifférente au reste du monde. Les scènes où Sunny von Bülow (Glenn Close), gisante sur son lit d’hôpital, s’adresse aux spectateurs de son profond sommeil, confère au film une dimension de conte de fées perverti, où l’amour est absent, où la princesse endormie est une maniaco-dépressive accro aux médicaments, que nul prince charmant n’a envie de réveiller d’un baiser.

 

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