Le titre du second long métrage de Julia Ducournau, Titane, renvoie autant au métal blanc qui se trouve dans la tête de la petite Alexia après son accident de voiture qu’aux Titans, ces divinités primordiales de la mythologie grecque, géants qui ont précédé les dieux de l’Olympe. Alexia (la révélation Agathe Rousselle) et Vincent (Vincent Lindon dans une composition inédite) nous sont présentés par la réalisatrice comme des êtres transhumains, voire surhumains, aux corps et aux identités modifiés par diverses expériences-limites qui échappent à la raison. Le terme « cinéma de genre » peut s’entendre de deux manières différentes dans Titane : Genre et Gender. Il n’y a aucune pertinence à envisager le film de Julia Ducournau comme un nouvel avatar du cinéma fantastique francophone, tant Titane s’émancipe de toutes les règles. Il y a certes des éléments empruntés au « body horror », mais ce détour par le « gore » permet à la cinéaste de questionner l’identité physique et sexuelle de ses personnages, qui évolue tout au long du film. La métamorphose, qui est un thème majeur du cinéma depuis ses origines, est réinterprété dans Titane de manière très contemporaine, par le prisme de la fluidité sexuelle, et du dépassement des limites corporelles. Le film est travaillé par des obsessions personnelles mais il est aussi traversé par les préoccupations de l’époque. Ducournau pose un regard amoureux sur la monstruosité, avec tout ce qu’elle comporte de fascination et de répulsion, mais aussi d’espoir et d’invention. Son ambition vise à repousser les limites de la crédibilité et donc de l’imagination pour s’aventurer vers des territoires inexplorés, sur le plan du récit et de la représentation. Titane est une manifestation flamboyante de film-mutant, dont la forme est en perpétuelle évolution, au même titre que celle de ses deux protagonistes. Dans un film qui montre le corps dans tous ses états, les nombreuses séquences de danse expriment une forme de joie et de plaisir, à l’inverse de la douleur provoquée par la drogue, les transformations physiques et la violence. Le cœur de Titane ne concerne pas la relation femme-machine, ou humain-voiture, qui est plutôt un point de départ, mais la rencontre entre une femme-enfant psychopathe et un père de substitution, lui-même hanté par le fantôme d’un fils disparu. C’est le choc de deux folies, de deux solitudes et la naissance de l’amour que raconte le film. Au-delà de sa noirceur, Titane est l’histoire d’un itinéraire tortueux vers la réconciliation et la liberté. Sa conclusion laisse entrevoir la possibilité d’une utopie sentimentale et familiale, marquée par l’abolissement des lois sociales et morales et des frontières corporelles et sexuelles.
Sortie le 14 juillet, distribué par Diaphana.

Agathe Rousselle © Bertrand Noël
Titane est aussi confus que la société contemporaine qui court de gauche à droite comme une poule sans tête, ayant perdu toutes ses illusions et ses repères. Comme illustration des sables mouvants où s’enfoncent nos convictions, il est réussi, mais je suis toujours en attente d’un film qui ait du sens, et qui ne soit pas une collection de notes éthérées qui se diluent dans un récit qui ne tient pas une ligne ferme.
La cinéaste picore des thèmes sur les autoroutes des préoccupations contemporaines (carambolages inévitables quand on roule à des vitesses différentes) sans parvenir à les lier entre eux. Son film est une table de dissection qui manque d’ordre: elle ausculte l’humanité (enfin, la sienne, celle qu’elle fréquente et qui n’est pas la mienne) avec trop de précipitation et ça brouillonne!
Entre autres fluctuations vaguement psychanalytiques, il y a ce nœud essentiel qui est tout simplement hystérique: la scène de sexe avec la voiture. Je comprends son utilité pour la suite de l’histoire, mais elle apparait totalement aberrante et vide de sens au moment où elle arrive. Pourquoi une voiture? Elle fait l’amour avec la voiture en vrai, après l’avoir aguichée? Mais c’est elle qui entre dans la voiture, elle n’est pas violée. Ah oui, c’est la femme qui « entre » dans la voiture qui est elle-même l’image du phallus; la voiture la transporte, et puis c’est elle qui porte leur enfant, qui sortira d’elle comme elle est sortie de la voiture. La femme comme garage 5.0.
Ah, non, c’était un rêve!
Ohlala, c’est dur de deviner!
Ceci dit, et sans ironie, les deux acteurs principaux sont bluffants. Quel corps, ce Lindon, incroyable de monstrueuse massivité! Je l’ai revu récemment dans Quelques Jours avec Moi de 1988. C’est devenu un autre bonhomme! Qui aurait pu deviner qu’il allait changer à ce point, y compris en talent.