En marge de ses films-dossiers et de ses enquêtes politiques sur les institutions américaines, mais aussi de ses nombreuses adaptations théâtrales, Le Gang Anderson (The Anderson Tapes, 1971), appartient à la veine plus ludique et divertissante du prolifique Sidney Lumet, hyperactif de la fin des années 50 à celle des années 80. Le début s’inscrit dans la tradition du film noir, avec la sortie de prison d’un cambrioleur après dix ans de captivité. Il ne tarde pas à retrouver sa maîtresse, puis à reconstituer une équipe afin de préparer un nouveau coup audacieux : la mise à sac de tous les appartements d’un immeuble cossu. Si l’histoire est banale, son traitement, dès la première image, l’est beaucoup moins. On y voit Sean Connery sur un vidéo-moniteur, filmé lors d’une thérapie de groupe avec d’autres prisonniers avant sa remise en liberté. La suite du film va maintenir jusqu’au bout cette intégration d’enregistrements visuels et sonores des actions et conversations des principaux protagonistes, constamment espionnés par différentes personnes ou organisations, et pour des raisons différentes. Ainsi, Lumet met en scène un vaste réseau de surveillance qui concerne aussi bien les plans d’un mari jaloux pour surprendre en flagrant délit d’adultère son épouse infidèle que les investigations du F.B.I. qui a mis sur écoute un groupe d’activistes noirs. L’intime et le politique se croisent tout au long du film qui dénonce le viol de la vie privée par l’entremise des nouvelles technologies. Dans son autobiographie, Lumet parlait à propos du Gang Anderson de « la révolte des machines », ce qui en fait autre chose qu’un simple polar. Il avait déjà abordé ce thème dans Point Limite (1964), sur le déclenchement accidentel d’une guerre nucléaire. Comme plus tard dans Network (1976), consacré au pouvoir tentaculaire des médias, Lumet étudie dans Le Gang Anderson les mécanismes pervers d’une société du contrôle elle-même dépassée par ses propres outils. Les images et les sons deviennent dans Le Gang Anderson des pièges aux conséquences imprévues, y compris par leurs propres commanditaires. Sean Connery et ses complices incarnent une conception à l’ancienne du grand banditisme, devenue totalement obsolète dans le monde moderne. Leur plan eut été parfait sans le parasitage de plusieurs moyens de communication et d’enregistrement qui s’ajoutent au système de haute surveillance électronique de l’immeuble. Ce film en apparence mineur compte parmi les belles réussites de Lumet. Le cinéaste s’y révèle visionnaire et anticipe le sentiment de défiance et la paranoïa qui vont bousculer la société américaine dans les années 70. Le Gang Anderson fut distribué aux États-Unis un an avant le scandale du Watergate, soit une autre histoire de cambriolage raté et de bandes magnétiques secrètes, bien réelle cette fois-ci, qui conduira à la chute du président Nixon.
Le Gang Anderson vient d’être réédité par Sidonis/Calysta en combo DVD/ Blu-ray, dans la collection « film noir ».
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