Olivier Père

Incubus de John Hough

Incubus (1981) appartient à cette catégorie de films d’horreur produits au Canada entre le milieu des années 70 et le début de la décennie suivante. L’éditeur Rimini a remis certains de ces titres à l’honneur dans sa collection dédiée au cinéma fantastique.

Ces productions entendent profiter de l’énorme succès rencontré par des films indépendants comme La Nuit des masques de John Carpenter qui lancèrent la mode du « slasher », mais aussi d’avantages fiscaux qui encouragent la délocalisation du tournage de projets anglo-saxons. Téléfilm Canada est un organisme d’état qui apporte son soutien financier à l’industrie canadienne du cinéma, mais aussi à des coproductions internationales tournées au Canada avec des techniciens locaux. C’est ainsi que plusieurs producteurs américains ou anglais s’installent au Canada pour y préparer leurs films et bénéficier d’aides à la production qui soutient autant, voire davantage, le cinéma commercial que le cinéma d’auteur. Si ce système vit la naissance d’un grand cinéaste en permettant le financement des premiers longs métrages professionnels de David Cronenberg, il accueillit aussi des productions signées par des faiseurs ou des cinéastes guère investis dans des entreprises essentiellement mercantiles (Happy Birthday, souhaitez de ne jamais être invité de Jack Lee Thompson, Phobia de John Huston). Incubus de John Hough appartient sans l’ombre d’un doute à cette catégorie de films opportunistes. Cela ne l’empêche pas de receler de nombreuses surprises, et de se révéler profondément dérangeant et original sous ses allures de produit d’exploitation à ambition réduite. Incubus est l’adaptation d’un best-seller écrit par Ray Russell. Le scénario dénature le roman original afin de franchir le barrage de la censure et respecter les règles du « slasher », qui comprennent une succession de morts violentes et une galerie de potentiels suspects. Si le cahier des charges est banal, l’histoire et son traitement le sont beaucoup moins. Une petite ville du Wisconsin est ensanglantée par une série de meurtres sexuels brutaux. Les résultats des autopsies des victimes permettent de douter de la nature humaine de l’assaillant, doté d’une force aussi exceptionnelle que la taille de son pénis. Le médecin de la bourgade participe à l’enquête de la police. Il finit par admettre que les viols sont commis par une entité maléfique, un incube.

Le livret contenu dans le combo blu-ray/DVD, écrit par Marc Toullec, nous apprend que les producteurs proposent d’abord Incubus à David Cronenberg, qui décline l’offre pour s’atteler à un projet personnel, Videodrome. Ils se replient sur John Hough, cinéaste anglais qui débuta sa carrière à la télévision en mettant en scène des épisodes de la série Chapeau melon et bottes de cuir, avant de travailler aussi bien pour la firme Hammer (Les Sévices de Dracula) que pour Walt Disney Productions aux États-Unis (La Montagne ensorcelée, Les Visiteurs d’un autre monde, Les Yeux de la forêt). Hough avait déjà signé en 1973 une vraie réussite du cinéma fantastique, La Maison des damnés, d’après Richard Matheson. Il imagine en acceptant cette commande pouvoir réaliser un thriller surnaturel dans la lignée de Rosemary’s Baby. La présence au générique des deux films de John Cassavetes encourage la comparaison, même si finalement Incubus se révèle très différent du chef-d’œuvre de Polanski. Il n’y a aucune trace d’ironie ou de scepticisme dans l’approche de Hough. Le traitement clinique, pour ne pas dire télévisuel, de sa mise en scène ne fait que renforcer le caractère trivial du film. Hough a beau suggérer davantage qu’il ne montre, les dialogues ne nous épargne rien des détails scabreux liés aux viols en série. Incubus baigne dans une ambiance sinistre, parfois sordide. Les scènes à effets sont rares mais suffisamment marquantes pour instaurer un malaise durable chez le spectateur. Selon Hough, Cassavetes serait intervenu dans la réécriture de ses dialogues, sans témoigner du moindre respect pour le travail des scénaristes. L’acteur a certainement contribué à rendre plus complexe la relation que son personnage entretient avec sa fille adolescente. Ils vivent ensemble comme un couple, et plusieurs allusions permettent d’évoquer des sentiments incestueux.

Le fantastique devient un prétexte pour dresser un tableau très noir, voire répugnant, de la sexualité, avec une accumulation de corps meurtris et détruits. Incubus pourrait être une série B aussi banale que malsaine, produit d’une époque où le gore et le sexe faisaient recette. Le refus du spectaculaire confère un statut particulier à ce récit d’anéantissement et de triomphe du Mal par la violence et la souillure. La tristesse et la douleur qui transpirent du film en font une expérience éprouvante, même pour les amateurs les plus blasés. Il est difficile d’en oublier les dernières images, traumatisantes, qui renvoient au générique du début et en dévoilent l’énigme : un très gros plan sur une pupille dilatée, figée d’effroi devant une découverte atroce. Ces ultimes secondes abolissent les carences d’un petit film d’horreur et comptent parmi les conclusions les plus glaçantes de l’histoire du cinéma fantastique.

Catégories : Actualités

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *