Olivier Père

Une hache pour la lune de miel de Mario Bava

Une hache pour la lune de miel (Il rosso segno della follia, 1970) est un titre trop sous-estimé dans la filmographie de Mario Bava. C’est pourtant un film assez génial, qui ouvre une brèche moderniste dans l’œuvre du cinéaste italien. Une hache pour la lune de miel se présente sous la forme d’un essai criminel à la première personne, qui épouse le point de vue d’un psychopathe paranoïaque, fétichiste et mégalomane. Le patron d’un atelier de confection assassine de jeunes mannequins lorsque ces dernières lui annoncent qu’elles le quittent pour aller se marier. Un trauma enfantin viendra expliquer les pulsions meurtrières du tueur en série. L’ombre de Psychose de Hitchcock plane sur le film, mais ce sont surtout les obsessions visuelles et thématique de Bava qui irriguent Une hache pour la lune de miel. Le cinéaste y fait allusion à se propres longs métrages, comme Six Femmes pour l’assassin, qui se déroulait déjà dans l’univers de la mode, et transformait les protagonistes d’une histoire macabre en pantins dérisoires. On pense beaucoup au Buñuel mexicain devant ce joyau baroque, l’outrance et le mauvais goût en plus, et en particulier La Vie criminelle d’Archibald de la Cruz. En effet, l’assassin développe une fixation érotique sur les mannequins, confondant la femme et l’objet, et fait brûler le corps de ses victimes dans un four crématoire installé dans son jardin, comme l’antihéros pathétique du film de Buñuel. Bava s’amuse avec l’esthétisme des romans photos et de la bande dessinée, à l’instar de son film précédent Danger, Diabolik ! Il tisse un réseau d’images-gigognes dans lequel plusieurs strates d’espace et de temps cohabitent parfois dans le même plan, et se livre à d’amusantes perspectives scalaires – des jouets et maquettes viennent envahir l’écran pour évoquer les souvenirs du tueur. Bava entretient la confusion entre rêves, fantasmes et réalité comme jamais auparavant. L’altération de la santé mentale du personnage principal contamine les images, dont les distorsions évoquent des symptômes psychotiques ou les effets de la drogue. L’enquête policière est progressivement court-circuitée par la folie de l’assassin, qui exécute son épouse tyrannique puis continue d’être persécuté par le fantôme de cette dernière. Laura Betti, extraordinaire, semble s’emparer de la narration du film avec la complicité de son metteur en scène. Il est dommage que le travail de Bava sur Une hache pour la lune de miel n’ait pas été salué à l’époque de sa sortie. Bava rompt avec le gothique transalpin qu’il avait contribué à créer pour s’engager dans une voie à la fois plus moderne et triviale, proche par certains aspects du surréalisme. Une hache pour la lune de miel, coproduction italo-espagnole à petit budget, connut un tournage chaotique en raison du manque d’argent. Le film fut à peine distribué en Italie, avec du retard, totalement ignoré par la critique et le public. En France, il demeure inédit en France en salles, mais il bénéficia d’une exploitation en VHS (sous le titre absurde de La Baie sanglante 2) puis en DVD. Sa redécouverte s’impose.

Une hache pour la lune de miel est disponible chez ESC en combo Blu-ray + DVD, accompagné d’un livret, dans une collection qui réunit deux autres films majeurs de Bava, Le Corps et le Fouet et La Baie sanglante.

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