Olivier Père

La Collectionneuse de Éric Rohmer

La Collectionneuse (1967) est le quatrième conte moral de Rohmer, réalisé avant le troisième. Adrien, un antiquaire, vient rendre visite à Daniel, son ami peintre dans sa villa tropézienne et rencontre une jeune fille, Haydée, qui collectionne les garçons. Mais l’idée de collection est contre l’idée de pureté. Comme tous les contes moraux, le film aborde la question de la liberté et du choix, ainsi que l’incomplétude du désir. Il y est d’abord moins question de conquêtes féminines que de recherche de la solitude. Adrien entend profiter de ces vacances pour atteindre le vide absolu, se perdre dans ses lectures et arrêter de penser. L’indolente Haydée, source de distraction, viendra menacer ce projet. Rohmer organise un triangle autour du jeu de la séduction, du libertinage et de la manipulation. C’est finalement Haydée, derrière ses apparences superficielles, qui triomphera de la misogynie des deux mâles. Il s’agit d’un des plus beaux films de l’auteur, drôle et cruel. Le film est à la fois intemporel dans son propos et profondément ancré dans son époque. Il y a toujours une dimension sociologique dans le travail de Rohmer, qui s’intéresse ici aux nouveaux dandys germanopratins en villégiature à Saint-Tropez, héritiers des Hussards, qui apprécient au début de la libération sexuelle et du mouvement hippie les provocations réactionnaires et cultivent leur machisme, ainsi que les aphorismes hautains sur l’art, la beauté et les femmes. Rohmer est encore très inspiré par le mode de vie et la personnalité sulfureuse du scénariste et écrivain Paul Gégauff, mauvais génie de la Nouvelle Vague, après avoir adapté dans Le Signe du lion, son premier long métrage, un épisode rocambolesque de son existence. Toujours à la pointe de la modernité et des mouvements artistiques novateurs, Rohmer annonce avec La Collectionneuse la constellation Zanzibar et les films de Philippe Garrel – on y retrouvera le peintre Daniel Pommereulle – ou de Jean Eustache et son goût des soliloques. Le cinéaste invite ses trois acteurs à exprimer devant la caméra leurs opinions personnelles, qui dessinent les personnages qu’ils interprètent, et confirme la dimension documentaire du cinéma de Rohmer. La Collectionneuse est un film d’une sensualité extraordinaire, baigné dans une sublime lumière méditerranéenne qui adoucit les couleurs de la photographie de Néstor Almendros.

 

 

Disponible gratuitement sur ARTE.tv du 17 avril au 16 octobre 2020.

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