Olivier Père

The Square de Ruben Östlund

Dans le cadre de sa programmation cannoise et d’un cycle Ruben Östlund, ARTE diffuse The Square lundi 18 mai à 20h55, suivi du documentaire Il était une fois… The Square à 23h20. Le film sera disponible gratuitement en télévision de rattrapage pendant sept jours sur ARTE.tv.

Palme d’or surprise – et néanmoins méritée – du 70ème Festival de Cannes, The Square confirme l’originalité de la démarche cinématographique de Ruben Östlund, en même temps qu’il élargit un système bâti depuis plusieurs longs métrages sur des observations et des expériences sociologiques.

Contrairement à ce qui a pu être dit au moment de sa présentation à Cannes, The Square ne se contente pas de proposer une satire facile du monde de l’art moderne et contemporain. Le film a pour antihéros Christian, le conservateur danois d’un musée de Stockholm, empêtré dans des difficultés d’ordre intime et professionnel, mais il ne tourne en dérision ni le snobisme des artistes et des galeristes ni les œuvres conceptuelles elles-mêmes qui jouent un rôle plus ou moins importants au cours du récit. Là n’est pas le problème.

L’univers de l’art contemporain est envisagé comme une loupe pour observer les travers de notre société occidentale, tandis que certaines créations ou happenings se transforment en révélateurs lors de scènes expériences, accueillies par un cinéma laboratoire.

Östlund entend parler de la responsabilité commune, et nous invite à nous interroger sur notre rapport aux autres, à la morale et aux questions d’humanisme.

Snow Therapy (Force majeure) étudiait la réaction d’un père de famille atteint de peur panique dans une situation de stress. The Square s’intéresse aux contradictions qui surviennent entre nos convictions et notre comportement lorsque nous sommes confrontés à des événements imprévus.

S’il conserve ses vertus scientifiques, on peut dire que le cinéma de Östlund s’humanise. Le cinéaste abandonne le regard distant et surplombant qu’il avait coutume de poser sur ses personnages cobayes. La mise en scène est moins systématique, moins enferrée dans un dogme qui évacuait la proximité et la complicité. Elle n’en demeure pas moins profondément surprenante, avec un traitement du récit très inhabituel. Östlund malmène le scénario traditionnel en mêlant trois intrigues distinctes reliées par le personnage du conservateur du musée : l’enquête autour du vol de son téléphone portable, une aventure sexuelle avec une journaliste américaine, le lancement de la campagne médiatique pour une nouvelle exposition intitulée The Square. Dans les trois cas, les initiatives, décisions ou négligences de Christian vont déclencher des réactions en chaine aux conséquences désastreuses. Fiction du dérèglement, The Square enregistre des écarts de comportements et dévoile le chaos ou le malaise qu’ils provoquent, dans un univers policé et aseptisé.

Ces trois histoires ne sont pas traitées de manière égale. Le cinéaste joue avec les principes de déséquilibre et de répétition, comme pour mieux souligner les différents pièges qui se referment sur Christian, et mettent en péril sa place dans la société. Le film avance donc par strates successives, mais aussi par blocs autonomes qui constituent de véritables films à l’intérieur du film, comme par exemple la séquence déjà anthologique de l’homme singe. Une performance dans le cadre d’un dîner très chic organisé par le musée sème le trouble parmi les invités avant de dégénérer en pugilat. Scène kubrickienne qui organise la rencontre entre les instincts primitifs et le vernis de la civilisation, jusqu’au craquèlement inévitable. La démonstration de Östlund n’est jamais professorale, et il faut reconnaître au cinéaste suédois un formidable sens de l’humour, aussi bien visuel que verbal. The Square est une comédie grinçante portée par des acteurs excellents, qui réussissent à incarner et à rendre vivant un projet expérimental qui aurait pu rester à l’état d’essai théorique. Claes Bang dans le rôle de Christian, sorte de Cary Grant scandinave traversé par une crise existentielle, est la grande révélation du film, tandis que Elisabeth Moss brille en vedette américaine invitée lors de brèves mais mémorables apparitions.

Catégories : Coproductions · Sur ARTE

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