Olivier Père

Cléopâtre de Eiichi Yamamoto et Osamu Tezuka

Cléopâtre (Kureopatora, 1970) réalisé à la suite des Mille et Une Nuits, bénéficie d’une implication beaucoup plus grande de Osamu Tezuka qui cosigne le film avec Eiichi Yamamoto. Cette participation explique peut-être le caractère encore plus loufoque de ce long métrage, qui repose entièrement sur les principes du mélange de genres et de styles, du pas de côté, de la citation référentielle et du clin d’œil au spectateur. Cette évocation de la vie de Cléopâtre, paradoxalement assez respectueuse de la réalité historique, se permet toutes les audaces. Le film possède l’un des prologues le plus déroutants de l’histoire du cinéma. L’action débute dans le futur. Menacé par un plan d’invasion extraterrestre répondant au nom d’Opération Cléopâtre, trois émissaires terriens entreprennent un voyage à travers le temps et remontent jusqu’à l’Égypte ancienne, afin de percer le mystère dissimulé sous ce code d’attaque. Ce ne sont pas leur corps qui empruntent une machine à remonter le temps mais leur âme, réincarnées dans des enveloppes physiques vivants à l’époque de Cléopâtre : une jeune égyptienne, un esclave athlétique et un léopard, animal de compagnie de la reine. L’étrangeté de cet incipit est renforcée par la technique employée, des prises de vues réelles où le visage des acteurs a été remplacé par des têtes animées aux proportions caricaturales. Cet argument de départ farfelu sera vite oublié au profit des épisodes les plus connus de la relation amoureuse et politique entre Cléopâtre, César et Antoine. Cléopâtre va systématiser l’art du collage, du carambolage d’influences esthétiques et de l’anachronisme déjà présent dans Les Mille et Une Nuits. Le film est un feu d’artifices d’idées visuelles, de gags surréalistes qui laisse le spectateur pantois. Ainsi le retour victorieux de césar à Rome est-il l’occasion d’un montage ultra rapide de pastiches picturaux qui résume en quelques secondes toute l’histoire de l’art occidental. La mort de César est quant à elle abordée par le prisme du théâtre Kabuki, l’une des rares occurrences de la culture traditionnelle nippone dans le film, avec l’apparition clin d’œil de Toshiro Mifune dans son rôle de samouraï immortalisé par les films de Kurosawa. Tezuka s’amuse aussi à inviter ses créations les plus célèbres au détour d’un plan, comme Astro le petit robot. Cléopâtre se transforme alors en cadavre exquis, avec un goût du détournement, du collage et de l’association d’idées stupéfiant et unique en son genre. La jubilation que procure ce film ne connaît guère de temps mort, à la différence des Mille et Une nuits. Cléopâtre développe un sens de l’humour et un érotisme particulièrement épicé. Le rock psychédélique qui accompagne les images renforce la nature hallucinatoire de cette objet filmique non identifié. La bouffonnerie pure et simple y côtoie des passages tragiques ou mélancoliques. Ce sentiment de trop-plein, de grivoiserie et d’agit-prop pour étudiants blagueurs sera balayé par le film suivant de Yamamoto, l’expérimental et épuré Belladonna.

 

Film disponible en DVD et en blu-ray, dans une édition réunissant Les Mille et Une Nuits et Cléopâtre (Eurozoom). Egalement proposé dans un coffret Collector Animerama (les deux films plus Belladonna), chez le même éditeur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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