Olivier Père

L’Argent des autres de Christian de Chalonge

Dans le cadre d’une soirée consacrée à Jean-Louis Trintignant lundi 23 septembre, ARTE diffuse deux films interprétés par l’acteur français : L’Argent des autres (1978) de Christian de Chalonge à 20h55 et Trois couleurs : Rouge (1994) de Krzysztof Kieślowski à 22h40. Christian de Chalonge comme premier assistant ou réalisateur de seconde équipe a participé à deux films avant le tournage de son troisième long métrage L’Argent des autres : Etat de siège de Costa-Gavras et Le Désert des tartares de Valerio Zurlini. On retrouve dans L’Argent des autres certaines caractéristiques de ces deux films qu’on pourrait résumer en deux mots : la dénonciation et la glaciation. L’Argent des autres s’inscrit en effet dans un courant politique-fiction du cinéma français (et international) des années 70, engagé à explorer les arcanes du pouvoir pour mieux en dévoiler les failles et les exactions. Nous sommes ici dans le monde de la banque, en pleine crise économique. Chalonge et son scénariste Pierre Dumayet s’inspirent de l’affaire politico- financière de la Garantie foncière survenu en 1971. Cette société civile de placement immobilier se livra à des malversations qui entrainèrent la ruine de nombreux petits souscripteurs. Le film relate les liens frauduleux entre une banque et un escroc. L’histoire est racontée du point de vue d’un fondé de pouvoir licencié sans ménagement par la banque et transformé en bouc émissaire lorsque le scandale éclate. Cet employé, habitué à une forme de soumission professionnelle, va décider de se révolter et d’entreprendre une enquête pour laver son honneur et faire éclater la vérité. Jean-Louis Trintignant est parfait dans le rôle de ce banquier anonyme, extrait malgré lui de son confort bourgeois pour affronter un système dont il fut l’un des plus zélés valets. Son personnage Henri Rainier est un lointain cousin de l’antihéros fasciste par conformisme du film de Bertolucci : c’est un complice, aliéné et névrosé, d’une organisation injuste. Sa prise de conscience est laborieuse, mue par des intérêts égoïstes. La croisade de Rainier, à l’issue incertaine, permet au spectateur de visiter les arcanes du pouvoir capitaliste, violent et sans scrupules. Dès la première séquence d’entretien d’embauche, dans des salles d’attente et des bureaux modernes, le film nous enferme dans un monde déshumanisé, froid, régi par une bureaucratie et des lois opaques. Chalonge parvient à créer une ambiance cauchemardesque, spectrale, à la frontière du fantastique. La direction artistique du film, remarquable, confère aux décors une dimension allégorique. Dans ses meilleurs moments, L’Argent des autres rejoint Mr. Klein de Losey, réalisé deux ans plus tôt, qui montrait aussi un homme sans qualité pris dans un piège totalitaire. L’ombre de Kafka plane sur les deux films.

 

 

 

 

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