Olivier Père

Roi Soleil de Albert Serra

Roi Soleil (2018) d’Albert Serra est le film du mois d’août d’ARTE Kino Sélection, disponible gratuitement sur ARTE.tv, Festival Scope et la chaîne Youtube d’ARTE à partir du 1er août.

Ce film de 61 minutes se présente comme une sorte de post scriptum à La Mort de Louis XIV. Il démontre la porosité esthétique et la circulation des thèmes et des idées entre les films réalisés par Serra pour le cinéma, et son travail accompli spécifiquement dans le milieu de l’art contemporain. Il établit aussi le lien entre l’évolution personnelle de Serra de film en film – sa première collaboration avec un acteur professionnel, Jean-Pierre Léaud en était la plus frappante expression – et la fidélité sincère aux origines de son cinéma. Ainsi dans Roi Soleil, à l’icône de la Nouvelle Vague se substitue une figure à la fois familière et anonyme, l’étonnant Lluís Serrat Masanellas, surnommé Sancho par la petite troupe de Serra depuis qu’il a offert sa corpulence et son mutisme au compagnon d’infortune de Quichotte dans Honor de Cavalleria, premier long métrage officiel de Serra en 2006. Davantage qu’un prolongement, Roi Soleil s’avère en vérité un retour à la source du projet initial de La Mort de Louis XIV. Serra avait d’abord envisagé l’agonie du roi sous la forme d’une performance inédite qui aurait saisi Jean-Pierre Léaud en habits royaux, en souffrance sur son lit au milieu des visiteurs du Centre Pompidou, lors de la carte blanche proposée par le musée parisien au réalisateur catalan en 2014. Le projet avait fait du chemin et s’était transformé en film, mais Léaud était resté au centre du désir de Serra de filmer le pouvoir absolu au plus près de son enveloppe charnelle.

Avec Lluís Serrat Masanellas, beaucoup de choses ont changé. Le monarque est désormais affublé d’un corps prolétaire, privé de parole, le discret Sancho se retrouve soudain au centre de l’attention des visiteurs d’une galerie, qui l’observent comme une bête curieuse. Loin des dorures de Versailles et des apparats de la chambre royale, le béton nu d’un espace géométrique moderne enferme la masse rampante et gémissante de l’homme tout en rondeurs dans une cage sans barreaux. L’observation du corps de l’état en phase de pourrissement cède la place à une réflexion sur la représentation permanente et la fusion entre l’acteur, la personne et le personnage.

Par son art savant du cadre et du montage, Serra donne à Roi Soleil, au départ une performance réalisée dans une galerie à Lisbonne, une dimension purement cinématographique. Il y adjoint aussi une puissance émotionnelle et comique qui empêche le projet de se réduire à une simple hypothèse théorique. Au-delà de l’effet de sidération, il existe dans Roi Soleil, comme toujours dans le travail de Serra, un mélange d’intelligence et de grâce, de provocation et d’humour qui le place dans la lignée de Warhol et Duchamp. Le minimalisme formel et la monochromie du film n’en offrent pas moins un festin pour les sens et l’esprit.

Catégories : Actualités · Sur ARTE

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