Olivier Père

Cannes 2019 Jour 6 : Les Siffleurs de Corneliu Porumboiu (Compétition) 

Après Le Trésor (2015), Corneliu Porumboiu revient avec un film longuement mûri et pensé, qui prolonge ses précédents opus tout en ouvrant son cinéma sur une ampleur, des ambitions nouvelles. Les Siffleurs lui permet en effet de franchir, avec brio, un cap important dans une filmographie déjà exemplaire. Cet élan se traduit aussi par un déplacement géographique, une profusion de personnages et de rebondissements qui entraînent le spectateur très loin de la chronique sociale ou de la tranche de vie dont nous avait habitué le cinéma roumain contemporain, souvent brillant mais menacé par la répétition. Pour la première fois, le cinéaste s’extrait, du moins partiellement, de sa Roumanie natale et des rues de Bucarest pour situer des pans entiers de son film et son épilogue imprévisible, sur l’île de La Gomera aux Canaries, ainsi qu’à Singapour. Ces tribulations permettent à Corneliu Porumboiu de se confronter à d’autres paysages, d’autres ambiances avec l’humour et le sens imparable de la mise en scène qu’on lui connaît. On retrouve dans Les Siffleurs le personnage de Cristi (interprété par le formidable Vlad Ivanov) de Policier, adjectif, flic corrompu jusqu’à la moelle venu apprendre le Silbo, langage sifflé et codé utilisé par les autochtones de La Gomera, pour récupérer un magot de la drogue et échapper à la surveillance de la police des polices. C’est l’un des points de départ d’un film qui se déploie selon des courbes temporelles et des revirements vertigineux. Les Siffleurs répond au désir évident de Corneliu Porumboiu de déployer un vaste récit labyrinthique aux chronologies et aux points de vue entrelacés, dont l’opacité excitante et jamais ennuyeuse ravive le souvenir des films noir hollywoodiens des années 40. Porumboiu tire les ficelles d’un scénario gigogne où les apparences sont toujours trompeuses et les personnages aux multiples facettes. Mais Les Siffleurs n’est pas un énième film de genre postmoderne. Les codes du cinéma criminel permettent à Porumboiu d’exprimer sur un mode ludique sa passion pour la sémantique et les mécanismes du langage. Le Silbo, langage sifflé ancestral utilisé par les pécheurs et les contrebandiers, est le meilleur moyen pour les trafiquants de drogue de se comprendre entre eux et d’échapper à la surveillance de la police. C’est un langage fait autant pour communiquer que pour ne pas être compris. A la manière d’un film qui avance masqué tout en exhibant des signes de reconnaissance, ce langage sifflé en cache un autre : le langage cinématographique. Les Siffleurs est un beau film sur le cinéma, qui déplace l’idée de mise en scène sur les territoires du crime et de la dissimulation, sans que la métaphore soit appuyée. Deux extraits de film, une salle de cinémathèque ou un décor de ville western suffisent à Porumboiu pour élaborer au cœur des Siffleurs une réflexion pertinente sur un médium dont il n’a de cesse d’explorer les potentiels narratifs et formels. Porumboiu signe une comédie noire où la corruption généralisée pose les règles aléatoires d’un fantastique jeu de rôles.

Catrinel Marlon © Bertrand Noël

Catrinel Marlon © Bertrand Noël

Catégories : Actualités · Coproductions

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