Olivier Père

Cannes 2019 Jour 3 : Zombi Child de Bertrand Bonello (Quinzaine des réalisateurs)

Envisagé par Bertrand Bonello comme un « petit » film tourné rapidement avec une économie de série B, en réaction à la pesanteur et à la lenteur fréquentes dans les productions hexagonales, Zombi Child n’affiche aucun signe de pauvreté contrainte ni à l’inverse la vacuité d’un exercice de style satisfait de sa propre virtuosité. Bonello n’a que faire de l’exotisme ou des clichés, revisités ou pas, du cinéma de genre. Il y a un désir d’ailleurs à l’origine de ce projet qui regarde aussi bien vers des horizons lointains que des territoires proches mais secrets… Haïti, l’adolescence, un premier amour déçu, un pensionnat de jeunes filles filmé comme une forteresse inviolable. A l’arrivée le film est ample, majestueux et en même temps il séduit par sa douceur, son calme. Nous sommes dans l’intimité d’adolescentes sages et tristes, loin du bruit et de la fureur d’un film d’horreur postmoderne. Le chaos et les distorsions s’y invitent avec subtilité, pour déranger l’ordonnance de la mise en scène de Bonello, qui mêle avec fluidité plusieurs espaces, plusieurs temporalités. Le point de départ du film consiste en un dispositif simple, avec des décors et des situations qui se répondent : passé et présent, silences du zombi et babillages incessants des jeunes filles, nature sauvage et plantations d’Haïti et longs corridors sombres de la Maison d’éducation de la Légion d’honneur à Saint-Denis, lieux quasiment vierges au cinéma. Parfois les temporalités et les espaces se mêlent et se rejoignent en une scène unique, lors du climax du film dans l’appartement en banlieue parisienne d’une mambo haïtienne gardienne des croyances de son peuple, avec une scène de possession d’une grande intensité poétique. Le résultat échappe à l’assèchement théorique. Bonello a privilégié une approche documentaire, les pieds dans le réel, pour s’approcher des mondes du rêve et de l’imaginaire.

A la frontière de l’ethnologie et du fantastique, Bonello retrace le destin du Haïtien Clairvius Narcisse, victime d’un sortilège vaudou, qui l’a transformé en zombi. Entremêlant les récits et les époques entre Haïti en 1962 et Paris aujourd’hui, entre Narcisse, une jeune haïtienne de 15 ans et sa tante, prêtresse vaudou, Bonello redonne au zombi haïtien son histoire et sa dimension politique. Il ancre le vaudou dans une réalité historique. L’utilisation de la « poudre de zombi » pour réduire des hommes et des femmes en esclavage, par vengeance, jalousie ou vénalité, constitue un usage détourné du vaudou, à des mauvaises fins, loin des origines de ce culte religieux et de ces pratiques magiques censées relier le monde des morts et celui des vivants dans une cohabitation pacifique. Ce retour aux sources permet aussi à Bonello de contester la confiscation du zombi par l’Occident, transformé en figure horrifique et grotesque par l’industrie du spectacle et du divertissement, et parfois détourné de leur folklore d’origine pour endosser des qualités satiriques. Bonello redonne au zombi son identité, ses racines. Il le libère de décennies de malentendus et d’ignorance. Cette reconquête a lieu par l’intermédiaire d’une adolescente venue de Haïti, qui prend en charge le récit généalogique devant ses nouvelles amies ébahies de la Légion d’honneur, fait œuvre de mémoire, et ouvre une voie de survie après une histoire de souffrances, signant une prise de relai d’une nouvelle génération. La détresse du zombi se superpose à celle de jeunes adolescentes qui éprouvent les premières blessures de la vie, malgré le cocon protecteur et étouffant du pensionnat, et se réfugient dans un imaginaire morbide et romantique. Avec ce film, Bonello confirme qu’il est peut-être le seul cinéaste en France capable s’aventurer avec succès dans le fantastique, sans jamais être dans l’imitation maladroite ou servile des modèles anglo-saxons. L’amour contrarié est le fluide qui relie les divers éléments spatio-temporels de Zombi Child. La séparation forcée de Clairvius et de son épouse, la rupture douloureuse de la jeune lycée connaîtront des issues divergentes. Peintre du spleen adolescent et des passions malheureuses, Bonello organise son récit sous les signes contraires de l’espoir et de la cruauté, des retrouvailles et d’une béance impossible à combler.

Sortie mercredi 12 juin, distribué par Ad Vitam.

 

Bertrand Bonello © Bertrand Noël

Bertrand Bonello © Bertrand Noël

 

Catégories : Actualités · Coproductions

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