Olivier Père

Cannes 2019 Jour 2 : Être vivant et le savoir de Alain Cavalier (Séance spéciale)  

Être vivant et le savoir est né d’une absence, et d’une disparition. Celle d’un autre film, jamais réalisé, et d’une femme, l’écrivaine Emmanuèle Bernheim, décédée en mai 2017. En janvier 2016, nous annoncions la mise en production de Tout s’est bien passé, long métrage qui devait marquer le retour à la fiction, par un chemin de traverse comme à son habitude, d’Alain Cavalier, grand essayiste du cinéma. Le film possédait un scénario, chose qui n’était pas arrivée à Cavalier depuis 25 ans. Il s’agissait d’une adaptation du roman éponyme d’Emmanuèle Bernheim publié chez Gallimard en 2013, dans lequel elle racontait comment son père, handicapé à la suite d’un accident vasculaire cérébral, lui demandait de l’aider à mettre fin à ses jours. Alain Cavalier et Emmanuèle Bernheim avaient écrit et devaient interpréter le film ensemble, lui dans le rôle du père et elle dans son propre rôle, celui de sa fille. Comme dans Pater avec Vincent Lindon, Alain Cavalier envisageait un film à deux personnes, débarrassé de la lourdeur des tournages traditionnels, en totale liberté et intimité. Avec Emmanuèle Bernheim, son amie depuis de longues années, Alain Cavalier se sentait « au maximum de la connivence ». La maladie de l’écrivaine a retardé le tournage du film, sa disparition l’a rendu impossible. Un pacte scellait les deux amis, l’adaptation du roman ne pouvait se faire l’un sans l’autre. En été 2018, Alain Cavalier décidait de réaliser Être vivant et le savoir. Malgré son point de départ, ce nouvel essai n’est pas un simple journal vidéo dans lequel Cavalier filme la préparation de Tout s’est bien passé, ses rencontres avec Emmanuèle Bernheim, puis l’annonce et l’avancée du cancer qui allait l’emporter. Cavalier nous laisse entrevoir avec pudeur le courage et l’élégance d’Emmanuèle Bernheim, dont l’attitude devant la maladie force l’admiration. Mais il englobe cette situation dramatique dans un mouvement plus ample qui concerne son propre rapport à la mort, celle des autres et la sienne. Témoin de la disparition d’une amie de trente ans, bien plus jeune que lui, et promise à interpréter sa fille à l’écran, Cavalier s’interroge sur les effets et la place de la mort chez les vivants, sur son acceptation au-delà du scandale ontologique qu’elle représente. Cavalier résume de façon lapidaire son sentiment devant la mort : « mourir me tracasse. » Son film deviendra une tentative de réponse à ces moments de souffrance devant celle des autres, d’angoisse à la pensée de sa propre mort. Le projet rejoint le sens du sacré qui imprègne tous les films de Cavalier depuis Thérèse. Ainsi, Cavalier intègre à ce nouveau projet enclenché par des circonstances funestes une autre idée qui macérait dans son esprit depuis plusieurs décennies : un film sur les derniers jours du Christ. Attentif aux choses de la vie, dont il saisit la poésie avec sa petite caméra – un rayon de lumière, un chat, un oiseau, des légumes, Cavalier regarde la beauté du monde en inventant sa propre liturgie, ses cérémonies miniatures où une pomme de terre fermentée peut représenter Jésus sur sa croix. Cavalier enregistre joies et peines en direct, mêle le trivial à la spiritualité. Il entre en communion avec son amie, prépare à sa façon sa fin prochaine. D’un film disparu, Cavalier fait un film retrouvé. D’un cheminement vers la mort, il fait un film lumineux.

Sortie en salles le mercredi 5 juin, distribué par Pathé.

Alain Cavalier © Bertrand Noël

Alain Cavalier © Bertrand Noël

 

Catégories : Actualités · Coproductions

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