Olivier Père

Cannes 2019 Jour 2 : Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles (Compétition)

Dans leur premier film signé ensemble, après une longue collaboration artistique derrière la caméra, Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles s’emparent de la locution latine « Homo homini lupus » pour y répondre par la citation de Brecht : « là où règne la violence, il n’est de recours que la violence ; là où se trouvent les hommes, seuls les hommes peuvent porter secours. » Bacurau dresse un tableau apocalyptique du Brésil, à travers l’histoire d’un petit village oublié des cartes au fin fond du Nordeste, assailli par un désir de mort venu de l’étranger, et d’autres régions du pays. Bacurau est une fable politique qui se déroule dans un futur proche. Il semblerait que la situation actuelle du Brésil ait désormais rejoint les visions alarmistes des deux auteurs, révoltés par les profondes inégalités sociales, ethniques et culturelles qui déchirent le pays. Ils retranscrivent cette réalité sous la forme d’une allégorie brutale colorée rouge sang, sur laquelle plane la menace fasciste, installée depuis les récentes élections au cœur du pouvoir. Constitué de deux parties, le film débute par la description d’une communauté paisible mais très pauvre du Sertão, soudée autour des funérailles d’une des aînées du village. Puis on assiste à l’intrusion vicieuse d’un groupe de touristes armés et surexcités réunis pour un safari très particulier, et qui ont choisi le Sertão comme terrain de chasse. Bacurau renoue le dialogue entre le cinéma brésilien et le western picaresque et baroque ancré dans les considérations géopolitiques de son temps, tel qu’avaient pu le populariser Sam Peckinpah et une poignée de cinéastes italiens autour de 1968. Les principales sources d’inspiration avouées par KMF pour Bacurau sont Companeros de Sergio Corbucci et Sans retour de Walter Hill. Comme Glauber Rocha à l’époque d’Antonio das Mortes et sa relation avec le western révisionniste américain, Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles s’approprient un certain cinéma de genre stylisé et contestataire – les films de John Carpenter en premier lieu – pour le plonger jusqu’aux racines de l’âme brésilienne. Bacurau est une ode à la résistance, au courage et à la liberté d’un peuple dont l’extermination a été programmée par des ennemis de l’extérieur – les gringos – et de l’intérieur – collaborateurs à la solde de l’étranger, nouveaux riches animés par un mépris de classe sans limites. Véritable opéra du pauvre, plein de bruit et de fureur, de musiques et de cris, de sang et de poussière, Bacurau surprend en permanence dans sa manière de détourner les clichés du cinéma d’action et d’aventure. Il n’y est jamais question de cynisme ou d’exploitation de la violence, mais au contraire d’une chanson de geste sur la reconquête de la fierté des opprimés et des offensés. Le chaos mis en scène par Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles, troué d’hallucinations – le village entier est sous psychotropes durant la bataille finale – de détails triviaux ou d’apartés lyriques est certainement la chose la plus secouante vue depuis longtemps, et un bras d’honneur à tous les roitelets ivres de puissance et de destruction.

Sortie mercredi 25 septembre, distribué par SBS Distribution.

Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles © Bertrand Noël

Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles © Bertrand Noël

Catégories : Actualités · Coproductions

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