Olivier Père

Les Éternels de Jia Zhangke

De 2001 à 2016, de la province de Shanxi à celle de Sichuan, trois moments de la vie d’une femme interprétée par Zhao Tao, ancienne danseuse amoureuse d’une figure de la pègre locale, dans la Chine moderne. Un soir elle sauve la vie de son amant lors d’un règlement de comptes entre gangs rivaux, en tirant avec une arme à feu. Elle refuse de dénoncer l’homme qu’elle aime et doit purger une peine de prison de plusieurs années. A sa libération, elle ne retrouve plus la petite communauté mafieuse qui a été dissoute. Certains de ses membres ont fait fortune, d’autres ont disparu ou sombré dans la misère. Avec courage et obstination, elle va réussir à survivre puis à conquérir une place dans la société. 
« Ce film combine la fiction et l’enregistrement du réel. Il est chargé de la vie de l’homme que je suis désormais à 46 ans. Il raconte une histoire tragique, mais sans larmes. » (Jia Zhangke). Dès ses premiers films, et en particulier son chef-d’œuvre Platform, Jia Zhangke s’est fait le chroniqueur de la Chine et de ses transformations à l’orée du XXIème siècle. Le constat que dresse le cinéaste dans Les Éternels (Ash is Purest White / Jiang Hu Er Nü), son nouveau long métrage présenté l’année dernière en compétition au Festival de Cannes, frappe par son pessimisme. Le pays devient une entité monstrueuse qui broie dans son développement économique les individus et détruit les liens, familiaux, affectifs ou tribaux qui pouvaient exister entre les hommes et les femmes. Jia Zhangke explore de manière intimiste les genres chinois et hongkongais – film de gangsters, mélodrame – sans se départir de son sens de l’observation sociale. Les acteurs professionnels se mêlent aux représentants du peuple chinois dont les visages, les attitudes, les gestes du travail ou les moments de repos sont magnifiquement saisis par le cinéaste. Jia Zhangke scande comme à son habitude son récit de chansons pop occidentales et asiatiques, comme autant de marqueurs temporels, de souvenirs collectifs. Scindé en trois parties que traverse son admirable héroïne, génialement interprétée par Zhao Tao, Les Eternels se fait aussi le témoin du passage du temps au sein de l’œuvre de Jia Zhangke, avec les apparitions parcimonieuses d’images datant des tournages de ses films précédents. Ce n’est pas seulement l’évolution de la Chine que le film documente, mais aussi la manière de travailler du cinéaste et sa relation avec l’outil cinéma, avec des qualités d’images variables qui suivent les progrès du numérique. Le maître de Fenyang confirme avec Les Éternels qu’il est un grand créateur de formes et de récits. La réalité chinoise lui offre une prolifération d’histoires, tandis que sa muse Zhao Tao lui inspire des personnages de femmes combattantes, dont la puissance transcende le romanesque et trouve ses racines dans l’énergie vitale d’un pays.

 

Les Éternels sort mercredi 27 février dans les salles françaises, distribué par Ad Vitam.

Catégories : Actualités · Coproductions

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