Olivier Père

Au seuil de la vie de Ingmar Bergman

En marge du centenaire Ingmar Bergman célébré cet année, de la rétrospective à la Cinémathèque française qui vient de s’achever et à la projection de plusieurs de ses films dans les salles actuellement, retour sur un titre rare du cinéaste suédois, huis-clos féminin dans une chambre d’hôpital : Au seuil de la vie (Nära livet, 1958).

Dans une clinique d’accouchement, trois femmes partagent la même chambre. Cecilia (Ingrid Thulin) vient de faire une fausse couche, Stina (Eva Dahlbeck) est sur le point d’accoucher, tandis que Hjördis (Bibi Andersson) est soignée pour un avortement manqué. La bourgeoise Cecilia vit ce drame intime comme la faillite de son mariage et annonce à son mari son intention de divorcer. Dans la frénésie créatrice des années 50 qui lui fait enchaîner mises en scène de théâtre et tournages de films, Bergman réalise Au seuil de la vie le même été que Les Fraises sauvages, en 1957. Malgré le prix de la mise en scène ainsi qu’un prix collectif d’interprétation féminine au Festival de Cannes l’année suivante, Au seuil de la vie, œuvre de commande, n’accédera pas à l’immense notoriété du Septième Sceau ou de La SourceEncore aujourd’hui, c’est un film peu vu et peu commenté, en comparaison de ses autres titres en noir et blanc de la même période. Il ne peut prétendre au statut de chef-d’œuvre, sans doute parce que la matière romanesque dont s’inspire Bergman, d’habitude unique scénariste de ses films, paraît assez datée, aux confins de la thèse édifiante sur les affres de la maternité. Mais Bergman demeure maître dans l’art du huis clos féminin et les murs blancs de la clinique, entre lesquels fermentent souffrances, frustrations et névroses, anticipent les salons aux tentures rouges de Cris et ChuchotementsDans son livre Images consacré à ses films, Bergman explique qu’il gardait un souvenir négatif d’Au seuil de la vie, mais qu’il prit plaisir à le revoir lorsqu’il s’y décida. On peut expliquer cette bienveillance par l’importance des trois actrices dans le dispositif de la mise en scène, étouffante, fétichiste. La fréquence des gros plans de ses héroïnes – figure de style récurrente chez lui, et encore davantage ici – rappelle que le cinéma de Bergman est un art du visage, et qu’il inventa « l’hyper gros plan », pour reprendre la définition de Jacques Aumont dans son essai définitif sur l’artiste, Mes films sont l’explication de mes images (Éditions Cahiers du cinéma, 2003).

 

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