Olivier Père

Inferno de Dario Argento

Prolongement de Suspiria (1977) dont il ne reprend aucun personnage tout en poursuivant l’idée de demeures hantées par trois redoutables sorcières, Inferno (1980) est un véritable opéra psychédélique sur le thème de l’alchimie, écrit par Dario Argento et Daria Nicolodi sous diverses influences occultes, notamment les essais de Thomas de Quincey. Quelques scènes se déroulent à Rome mais l’essentiel du film a pour cadre un vaste immeuble new-yorkais – réinventé en studio – chargé de secrets mortels. C’est sans doute le chef-d’œuvre le plus cruel et démentiel de Dario Argento, esthétiquement somptueux et obéissant à la logique des cauchemars, mais aussi à une appréhension profondément singulière, voire ésotérique, de la narration. Argento procède par rimes visuelles, fétichistes et musicales (rock progressif de Keith Emerson, le Nabucco de Verdi) pour faire avancer un film construit comme un jeu de l’oie, où se télescopent plusieurs lieux et destinées funestes.

Il y a davantage de divergences que de points communs entre Suspiria et Inferno. Certes on retrouve dans le deuxième film un incendie final, des animaux féroces, de frêles jeunes femmes assassinées à l’arme blanche, un assemblage maniériste de citations cinéphiles et picturales… Mais Argento refuse de se répéter et choisit dans Inferno le murmure contre le vacarme, une atmosphère de torpeur onirique contre les stridences hystériques de Suspiria. Cette douceur se retrouve dans la musique de Keith Emerson, moins pesante que celle de Goblin. Quant aux acteurs de Inferno, ils adoptent un style de jeu somnambule quasiment bressionien, irréaliste mais aussi atténué et presque neutre, comme sous hypnose. Argento prend à contre-pied les bandes-son des films d’horreur et leur cortège de hurlements et d’effets sonores et signe une œuvre chuchotée, souvent silencieuse, traversé par des scènes ultraviolentes mais dont l’atmosphère générale renvoie au cinéma muet expressionniste.

Contrairement à Suspiria, Argento abandonne totalement dans Inferno le scénario traditionnel, la progression dramatique classique et la notion même de personnage. Chaque scène est raccordée à la suivante par une association d’idée, un détail, un objet transitionnel (une lettre, une clé…) tandis que des jeunes femmes entraînées malgré elles dans une enquête surnaturelle se succèdent à l’image sans jamais se croiser, victimes programmées d’une force sanguinaire. Inferno est le film d’Argento où l’architecture occupe la place la plus importante. Des demeures grandioses et inquiétantes sont le théâtre de meurtres barbares, et dissimulent. L’énigme centrale est cachée dans les plans de l’immeuble où vivent cloitrés d’étranges locataires, dans les interstices des murs et des planchers qu’Argento utilise comme des espaces communicants, nécessaires à des révélations inattendues.

On ne peut qu’admirer la mise en scène d’Argento et son utilisation si spectaculaire de la couleur. C’est particulièrement vrai pour Inferno dont les variations de rose et d’orange sont inspirées par la peinture préraphaélite et constituent des créations chromatiques extraordinaires du directeur de la photographie Romano Albani, à l’opposé des couleurs agressives de Suspiria, dont la photo était signée Luciano Tovoli. Inferno est une invitation à l’hallucination et à la rêverie, un film à nul autre pareil, dont la beauté transcende le genre horrifique.

Inferno est proposé à la vente par ESC dans une édition Collector Combo Blu-ray et DVD. Inclus un livret de 24 pages.

 

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