Pour son neuvième long métrage, Emmanuel Mouret a choisi pour la première fois de réaliser un film en costumes et d’adapter une œuvre littéraire, un récit qui se trouve au cœur de Jacques le fataliste et son maître de Denis Diderot, plus connu sous le nom du « Récit de Madame de la Pommeraye et du marquis des Arcis ». On se souvient que ce récit fut déjà porté au cinéma par Robert Bresson dans Les Dames du bois de Boulogne en 1945, dans une version modernisée. Les deux adaptations diffèrent par bien des aspects, qui ne sont pas seulement liés au changement d’époque. Bresson va vers l’épure en rendant l’action et la temporalité les plus tranchantes possibles et en réduisant au maximum les dialogues. Jean Cocteau racontera sans le regretter devant la splendeur du résultat que le cinéaste n’avait pas gardé grand-chose de son travail de dialoguiste. Cela n’empêche pas Les Dames du bois de Boulogne d’être l’un des films les mieux écrits du cinéma français, avec des échanges inoubliables entre les protagonistes. Mouret choisit une approche radicalement opposée, ce qui lui permet d’écarter la comparaison avec le chef-d’œuvre de Bresson. Mademoiselle de Joncquières revendique sa théâtralité tout en évitant les pesanteurs et le carcan du théâtre filmé. Mouret signe une mise en scène élégante et aérée qui privilégie les plans séquences et restitue le plaisir des mots, avec de longues joutes oratoires et le développement du plan de vengeance de Madame de la Pommeraye qui passe essentiellement par des scènes dialoguées. Cela n’exclut pas pour autant de véritables idées cinématographiques de cadrage et de montage qui rendent le film captivant. Mouret a toujours excellé dans les contes moraux et il trouve avec le récit de Diderot un matériau parfait pour illustrer les pièges de la séduction et de la manipulation, sur le thème de « telle est prise qui croyait prendre », mais aussi des étranges chemins qu’empruntent deux êtres pour se rencontrer et s’aimer. Le personnage de Mademoiselle de Joncquières (Alice Isaaz, excellente) est d’abord présenté comme une simple image silencieuse de beauté et de pureté, sur laquelle le marquis des Arcis peut projeter ses désirs amoureux, avant de révéler sa grandeur d’âme lorsqu’elle osera enfin prendre la parole. Mouret ne se prive pas d’ajouter quelques moments humoristiques construits autour de l’embarras du marquis devant l’objet de son amour mais son film dépasse le simple marivaudage et les intrigues libertines. La vengeance de la Pommeraye possède une dimension pathétique, car elle s’exerce contre un homme au détriment d’autres femmes, une mère et sa fille doublement victimes de leur déchéance sociale et des plans machiavéliques de l’aristocrate abandonnée. Cela souligne moins la cruauté de la Pommeraye que son incapacité à s’extraire des rapports d’inégalité hommes femmes dans la France du XVIIIème siècle – miroir de la nôtre – pour punir un amant inconstant. Sous le raffinement et le luxe percent des sentiments d’une extrême violence et l’omniprésence de la soumission et de la domination, inféodées au pouvoir de l’argent et de la respectabilité. Mademoiselle de Joncquières est sans aucun doute le meilleur film d’Emmanuel Mouret. Il bénéficie de l’interprétation magnifique de Cécile de France – convaincante dans un contre-emploi – et d’Edouard Baer, qui trouve enfin un rôle à la mesure de son talent.
Sortie en salles le 12 septembre, distribué par Pyramide Distribution.
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