Un coffret DVD ou Blu-ray édité par Blaq-out réunit sous le titre de « la trilogie de la guerre » trois films essentiels de l’œuvre de Roberto Rossellini : Rome, ville ouverte (Roma città aperta, 1945, photo en tête de texte), Paisà (1946) et Allemagne année zéro (Germania anno zero, 1948).
Ces trois films marquent une rupture capitale non seulement dans la carrière de Rossellini mais aussi dans toute l’histoire du cinéma. Considérée comme l’acte de naissance du néoréalisme, cette trilogie constitue également une date clé de la modernité cinématographique. Rossellini décide de remettre en question les principes esthétiques du cinéma et sa fabrication devant la catastrophe morale que représentent la Seconde Guerre mondiale et ses conséquences sur les populations européennes.
Avec Rome, ville ouverte Roberto Rossellini invente un art du présent, qui documente une page tragique du XXème siècle davantage qu’il la reconstitue. Le film est un hymne à la résistance sous l’occupation nazie de la capitale italienne, avec le martyre de trois de ses courageux habitants : une femme du peuple, un ingénieur communiste et un prêtre. Les conditions précaires de tournage participèrent à la forme révolutionnaire du film. Rossellini et son scénariste Sergio Amidei combinent à un esthétique nouvelle la puissance narrative du cinéma classique. Une date, et un chef-d’œuvre.
Paisà marque une rupture plus radicale encore que Rome, ville ouverte par rapport au cinéma d’avant-guerre. En effet, le film abandonne la narration traditionnelle et opte pour un récit fragmenté, constitué de six chapitres autonomes censés restituer, à travers l’avancée des troupes alliées du sud au nord de l’Italie lors de la libération du pays, les différentes facettes humaines du conflit. Le premier segment se déroule en Sicile en 1943 peu après le débarquement des troupes américaines tandis que le sixième est consacré au combat des partisans contre les soldats allemands durant l’hiver 44, dans le delta du Po. Le thème qui domine les histoires est celui de la rencontre – entre les soldats américains ou anglais et le Italiens – et les incompréhensions, linguistiques, culturelles, spirituelles que déclenchent ces rapprochements forcés et dramatiques. Ce thème de la rencontre est décliné sous de nombreuses formes, de l’entraide contre les Nazis à la prostitution en passant par l’hébergement d’un aumônier américain par des moines ou la brève complicité entre un soldat noir ivre et un enfant napolitain qui lui dit « ne t’endors pas, sinon je vais te voler tes chaussures ». Rossellini privilégie un sentiment d’inachèvement, en brassant des matériaux hétérogènes (images d’archives, reconstitution sommaire, style documentaire, acteurs amateurs et professionnels), mais il se dégage de l’ensemble une force et une vérité extraordinaires. Rossellini réussit un tableau vivant de l’Italie, pays sur le point de renaître des ruines de la guerre, avec ses souffrances, ses sacrifices et ses contradictions, au plus proche de la réalité, et fait preuve d’un esprit de synthèse qui caractérisera l’ensemble de son œuvre à venir.
Allemagne année zéro est le troisième volet de cette trilogie. Si les deux premiers films étaient des récits choraux, volontairement fragmentaires, qui entendaient restituer la réalité de l’Italie durant l’occupation allemande puis la libération par les forces alliées par la multiplicité des points de vue et des destinées humaines, Allemagne année zéro adopte un parti-pris opposé. Il s’agit au contraire de raconter un pays vaincu, et une ville en ruine, à travers le regard d’un enfant de douze ans, à la fois témoin et victime d’un désastre provoqué par les adultes. Fidèle à son approche documentaire, Rossellini tourne dans les décombres de Berlin dans l’après-guerre, et capte la misère d’un peuple obligé à se livrer au marché noir et à la prostitution pour survivre. Les images au début du film d’un cheval mort dépecé en pleine rue par des berlinois ne s’oublient pas. Ce qui va suivre non plus. Rossellini montre que les résidus pervers du nazisme, cachés dans les ruines, continuent de distiller leur venin dans la jeunesse allemande tandis que le pays, anéanti par la folie meurtrière du IIIème Reich, peine à se reconstruire. Après avoir filmé la résistance et la libération dans Rome ville ouverte et Paisà, Rossellini s’intéresse aux séquelles morales et matérielles de la guerre. Il ne s’agit pas de stigmatiser un pays vaincu mais de constater l’héritage terrible légué aux générations futures. Ce constat pessimiste annonce Europe 51, autre œuvre majeure de Rossellini, dans laquelle une nouvelle fois un enfant commet un geste radical pour échapper à un monde sans amour ni espoir
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