Safari, essai documentaire de Ulrich Seidl est disponible en télévision de rattrapage sur le site d’ARTE jusqu’au 2 mai. Il sera également rediffusé sur notre antenne jeudi 26 avril à 23h10.
Réalisé en 2014, présenté à la Mostra de Venise, il faisait partie de la première sélection d’ARTE Kino Festival en 2015. Demeuré inédit en salles en France, sa diffusion sur ARTE est une nouvelle occasion de le découvrir.
Cinéaste de la provocation et de l’inconfort, Ulrich Seidl est d’abord un grand documentariste, un essayiste du cinéma. Son projet repose sur un principe esthétique qui correspond à son désir de montrer ce que l’on ne veut ou ne peut généralement pas voir : la frontalité. Seidl pense ses films en tableaux, natures mortes, portraits silencieux ou parlants dans lesquels le cinéaste privilégie des compositions symétriques.
Son style colle particulièrement à son nouveau film Safari, qui met en scène une série de trophées : trophées de chasse exhibés et collectionnés par ces amateurs de gros gibier, et les chasseurs eux-mêmes épinglés par l’entomologiste Seidl dans ses plans en forme de boîte.
Le film donne la parole à des touristes autrichiens et allemands qui vont en Afrique du sud ou en Namibie, en couple ou en famille, pour gouter au grand frisson du safari, autorisés à tuer des animaux de la savane. Seidl expose une réalité – la démocratisation de la chasse de gros gibier en Afrique grâce à des fermes d’animaux gérées par des Blancs – qui souligne les relations entre tourisme et néocolonialisme, avec un racisme latent ou assumé, tel celui que l’on retrouve dans les propos d’un organisateur allemand de safaris.
Plus profondément, Seidl explore la fascination pour la mort et le sentiment d’impunité de ces blancs occidentaux en quête d’émotions fortes sur le continent africain. Ils pensent faire partie d’une société d’élus, autorisés à donner la mort à des animaux dans des combats inégaux et au suspens artificiellement entretenu. Leur pseudo philosophie de guerriers appartenant à la race supérieure, exprimée en toute franchise et sans aucun complexe, exhale les relents d’une idéologie nauséabonde qui n’appartient malheureusement pas qu’au passé. Au-delà des fantômes du nazisme dont Seidl ne cesse d’enregistrer la survivance au sein de la société et des mentalités autrichiennes, le cinéaste plonge ici dans les zones les plus sombres de la psyché humaine. La parole libère dans Safari des désirs de meurtre qui sont aussi des fantasmes de sexe. Le meurtre d’un animal devient pour le jeune homme un rite de passage vers la virilité, adoubé par son père présent à ses côtés qui le félicite pour avoir « bien tiré. »
La manière dont les femmes, épouses ou filles, décrivent les émotions procurées par la chasse renvoie directement au lexique de la jouissance sexuelle. Il est évident que le meurtre d’un zèbre ou d’une girafe leur apporte un plaisir comparable à un orgasme. Leur excitation est visible, et difficilement contrôlable, devant la caméra de Seidl, juste avant d’appuyer sur la gâchette ou en contemplant le cadavre de l’animal, préparé pour une macabre photo souvenir. En coulisse, les employés africains se coltinent le sale boulot, et entretiennent une relation véritable, beaucoup plus profonde avec l’animal mort : son dépeçage méthodique, ce qui prend des proportions dantesques lorsqu’il s’agit d’un animal aussi imposant qu’une girafe. Safari s’inscrit ainsi dans la continuité de Sous-sols, le précédent documentaire de Seidl qui s’intéressait à la vie cachée des banlieusards autrichiens dans les caves de leurs pavillons. Ici les pulsions de sexe et de mort s’assouvissent au grand air, sous le soleil africain, et pourtant toujours loin des regards des voisins. Mais Seidl est encore là pour les filmer. Il ne lâche pas son sujet.
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