Olivier Père

Pasolini de Abel Ferrara

ARTE diffuse Pasolini réalisé en 2014 par Abel Ferrara mercredi 4 avril à 23h30. Le film sera également disponible en télévision de rattrapage sur le site d’ARTE pendant sept jours.

On connait l’admiration de longue date de Abel Ferrara pour le cinéma de Pier Paolo Pasolini, ce mélange de sacré et de profane, de mystique et de politique irriguant les propres films du cinéaste new yorkais de ses premières séries B frénétiques (L’Ange de la vengeance) jusqu’à ses récents essais introspectifs en quête de spiritualité (Mary, 4h44 Dernier Jour sur Terre). On sait aussi que les derniers films de Ferrara sont des autoportraits plus ou moins déguisés, même lorsqu’il feint de s’intéresser aux déboires new yorkais de l’ancien patron du FMI.

Willem Dafoe dans le rôle de Pier Paolo Pasolini

Willem Dafoe dans le rôle de Pier Paolo Pasolini

Et des déclarations d’amour à ses acteurs, ici le fidèle complice et double cinématographique Willem Dafoe métamorphosé en Pasolini, absolument crédible et même fascinant sans jamais tomber dans le piège du mimétisme, puisque l’acteur américain conserve sa voix, reconnaissable entre mille.

Pasolini au travail

Pasolini au travail

Le scénario initial de Pasolini cherchait dans la biographie du poète, et dans sa trajectoire d’homme, de citoyen et d’artiste, une explication à sa mise à mort brutale sur la plage d’Ostie dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975. Sacrifice planifié par Pasolini lui-même, en contradiction avec son hyperactivité créatrice, réminiscence de la mort du jeune frère Guido de Pasolini, résistant lui aussi assassiné en 1945 par une milice de partisans pro-communistes, dont le meurtre aurait dû être montré en montage parallèle dans une mise en scène morbide et opératique ? En cours de préparation et au moment du tournage Ferrara a abandonné ces hypothèses de travail pour se concentrer sur la reconstitution de la dernière journée d’un homme filmée du réveil jusqu’à l’ultime soupir, en train d’écrire, de discuter, de déjeuner en famille ou d’aller draguer, sans recourir à des retours en arrière, sauf une courte scène joyeuse où l’on voit Pasolini jouer au foot avec des gamins. Exit aussi les théories conspirationnistes plus ou moins fondées au sujet d’un assassinat planifié par l’extrême droite italienne.

La dernière nuit de Pasolini

La dernière nuit de Pasolini

En revanche, l’une des très belles idées de Ferrara est d’insérer à l’intérieur du déroulement de cette journée des passages filmés de deux œuvres sur lesquelles travaillait Pasolini avant de mourir, le roman Petrolio qui évoquait le contexte politique trouble de l’Italie des années 70, sur toile de fond de complot fasciste, et le film Porno-Teo-Kolossal dont le scénario, déjà écrit, racontait « la poursuite de la comète idéologique » par un couple de vagabonds. Dans ce « film dans le film » on retrouve l’ami et acteur fétiche de Pasolini Ninetto Davoli dans le rôle du vieil homme et Riccardo Scamarcio dans le rôle de Ninetto jeune, cheveux bouclés et sourire enfantin. Le film de Ferrara, aux antipodes des biopics conventionnels, s’intéresse autant à l’homme Pasolini qu’à son œuvre et sa pensée politique sur la société de l’époque. Nous sommes littéralement dans le cerveau de l’artiste, que Ferrara accompagne aussi bien dans ses réflexions intellectuelles que dans sa quête effrénée de plaisirs nocturnes avec les ragazzi romains. Le film de Ferrara s’apparente davantage à un essai cinématographique qu’à une évocation biographique classique, puisque le cinéaste filme autant la figure intellectuelle et le personnage Pasolini que l’acteur Willem Dafoe en train de l’incarner, comme en témoigne le recours décomplexé à l’anglais pour certains dialogues – notamment pour les deux derniers entretiens que Pasolini accorda à la presse, minutieusement retranscrits. Pas une mise en abyme, mais le désir de ne pas cacher les artifices du cinéma, de ne pas opter pour une approche purement réaliste mais au contraire de privilégier la piste onirique et fantasmatique : nous sommes autant dans la tête de Pasolini que dans celle de Ferrara, et cette superposition mentale correspond au style du film, parsemé de fondus enchaînés et d’images aux multiples valeurs et significations. L’élégance et l’inspiration de la mise en scène, comparable à celle de Christmas, montrent un Ferrara en pleine possession de ses moyens, stimulé par un cinéaste auquel il s’identifie et une nouvelle fois, bien au-delà du respect ou de la dévotion, en totale empathie avec la figure de Pasolini, modèle, poète et martyr.

Catégories : Coproductions · Sur ARTE

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